« En quatre mois, j’étais complètement cramée
Le point du soir
Tous les soirs à partir de 18h
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Merci ! Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :
Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.
Quelques jours après sa prise de fonction, son N + 1 est parti en congé paternité. L'équipe de 12 personnes qu'elle devait encadrer sortait d'un épisode douloureux. Le manageur précédent avait brisé les liens, entamé la confiance, effacé les repères. Sans relais, sans cadre, sans qu'on lui explique ce qui s'était joué avant son arrivée, elle a dû faire face. Impossible d'être partout à la fois.
Le soir venu, elle rattrapait ce qu'elle n'avait pas pu finir durant la journée. Le week-end, elle s'écroulait. « En quatre mois, j'étais complètement cramée », dit-elle. À la fin de sa période d'essai, elle a admis que c'était trop pour elle et a préféré claquer la porte. Depuis, elle s'est mise à son compte. Et même dans une discussion entre amis, le mot manageur lui donne encore des sueurs froides.
Des exigences trop grandes
Il n'y a pas si longtemps, devenir manageur, c'était goûter à la réussite : un fauteuil un peu plus large, des cartes de visite, un titre dont les parents pouvaient être fiers. Aujourd'hui, cette progression a perdu tout son éclat, au point de ne plus susciter de désir. Cette désaffection est si répandue qu'elle porte désormais un nom : le conscious unbossing, un renoncement assumé à une progression de carrière dont on connaît déjà les revers.
Selon une étude du cabinet Robert Walters, 52 % des jeunes professionnels britanniques ne souhaitent pas encadrer d'équipe. Plus étonnant encore : 16 % déclinent toute offre impliquant des subordonnés. Et la France n'est pas en reste. En 2023, une étude de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec) indiquait que seuls 56 % des jeunes cadres envisageaient de devenir manageurs un jour, soit sept points de moins que l'année précédente.
Ces frileux du management ne fuient pas le pouvoir, mais ce qu'il exige au quotidien : la gestion des ego, l'usure des conflits larvés, la solitude des décisions. Manager, pour beaucoup de salariés, ce n'est plus avancer, c'est naviguer en eaux troubles, pris entre les demandes déraisonnables du sommet et les frustrations des équipes. C'est aussi devoir gérer l'humain dans ses expressions les plus difficiles : la toxicité, la démotivation, l'hostilité, sans jamais avoir été préparé à endosser ce rôle.
« Les jeunes salariés font très vite le calcul, observe Christophe Nguyen, psychologue du travail et président du cabinet Empreinte humaine. Quand ils mettent en balance les avantages à devenir manageur – comme le salaire ou la reconnaissance – face aux contraintes, le calcul est vite fait et il est souvent négatif. Même avec une augmentation, le manque de temps et de moyens humains dans les organisations les poussent à renoncer. »
Partout autour d'eux, les équipes opérationnelles voient des manageurs de proximité débordés, toujours en mouvement, souvent empêchés de mener leur travail correctement. Selon l'étude « Rester manageur » de l'Apec publiée en 2023, 61 % des cadres ressentent souvent ou parfois « la sensation d'une charge de travail insurmontable ». « Pas étonnant que beaucoup préfèrent rester à distance, préserver leur équilibre et ne pas y laisser leur peau », observe le psychologue du travail.
« La charge de travail s'est intensifiée »
« Personnellement, ce qui me fait le plus rire, c'est l'écart entre ce qu'on promet aux manageurs sur les fiches de postes et la réalité du terrain. On leur parle de marge de manœuvre, de décisions stratégiques, alors que ce n'est jamais le cas », tranche Julien, vidéaste de 47 ans, qui a toujours décliné les postes d'encadrement. Dans son cas, diriger une équipe reviendrait à renoncer à la part créative qui donne justement tout son sens à son travail. « Ce que j'aime, c'est fabriquer des images, pas perdre mon temps dans le reporting, les plannings, la psychologie humaine ou les réunions sans fin », justifie-t-il.
Même constat chez Félix, 34 ans, développeur dans une start-up : « Pour moi, manager, c'est devenir une sorte de chef de projet chargé de faire passer les consignes de la direction, même quand on n'y croit pas ou qu'on n'y adhère pas. » Julien et Félix en sont pourtant conscients : gravir les échelons leur permettrait de mieux gagner leur vie. Mais ils s'étonnent que ce soit encore en France la seule voie reconnue.
« Dans notre pays, on valorise trop peu les savoir-faire techniques alors qu'ils sont essentiels », regrette Félix. Ce dernier évoque les États-Unis, où les experts sont parfois mieux rémunérés que les personnes qui les encadrent. Un modèle qu'il juge plus juste. « Sans expert, on produit moins, et moins bien. Et puis surtout, tout le monde n'est pas fait pour encadrer, ni pour gérer de l'humain. Personnellement, je sais que je pourrais facilement m'y perdre. »
Il faut dire que, depuis 2023, le contexte économique fragile a bouleversé les priorités. Là où l'on promettait de redonner du pouvoir aux manageurs intermédiaires et de leur offrir les moyens de s'épanouir, c'est désormais la recherche de résultats qui impose ses règles, remodelant le travail à sa guise. « Face à ce changement de paradigme, la charge de travail s'est intensifiée, les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle sont devenues de plus en plus difficiles à tenir, et les tensions ont explosé dans les services », observe Christophe Nguyen.
Plus que jamais, l'entreprise exige des manageurs qu'ils atteignent leurs objectifs, qu'ils remontent les indicateurs de performance de chaque collaborateur et qu'ils gèrent une urgence permanente. De l'autre côté, des équipes fragilisées par le Covid attendent davantage de présence, d'écoute et d'accompagnement, en particulier sur les questions de santé mentale.
Face à ces injonctions irréconciliables, les manageurs ont de plus en plus de mal à garder le cap. « Il ne faut pas oublier que l'absentéisme a augmenté de plus de 40 % en cinq ans chez les salariés du privé, principalement à cause des arrêts maladie de longue durée, rappelle le spécialiste des questions de santé mentale au travail. Les manageurs compensent aussi les postes non remplacés et prennent sur eux une charge supplémentaire. »
Une situation qui ne touche pas que les jeunes
Le travail peut-il survivre si la fonction de manageur perd toute attractivité ? Comment faire quand les salariés désertent ce rôle ? « Ce qui est inquiétant, c'est que cette situation risque de durer. Et elle traduit bien plus qu'un simple renoncement. Pour moi, c'est le signe d'un malaise profond, celui d'un lien qui se distend entre les salariés et leur entreprise », analyse Christophe Nguyen. Les chiffres ne mentent pas. Selon l'enquête 2023 State of the Global Workplace de Gallup, seuls 7 % des salariés français se disent encore engagés au travail, contre 13 % en moyenne en Europe. Un signal net d'un désengagement massif.
Ce constat trouve un écho chez Gaël Bouron, responsable adjoint des études à l'Apec, qui souligne que « cette évolution du rapport au travail ne touche pas seulement les jeunes générations, mais l'ensemble des salariés et toutes les catégories de personnel ». Il insiste notamment sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, la gestion du temps, la place que le travail occupe dans une existence.
Ces enjeux majeurs pèsent peut-être encore plus sur les manageurs, « souvent les premiers à faire face à ces tensions, notamment dans les petites structures qui ne disposent ni d'un collectif managérial structuré ni de grands programmes dédiés à l'effort managérial ». Ce qui pourrait poser problème, alerte Christophe Nguyen : « Tant que les entreprises ne donneront pas aux manageurs les moyens d'assumer ces nouveaux défis, comme prendre soin de l'humain, renforcer la cohésion sociale ou intégrer les bouleversements de l'intelligence artificielle, la situation restera figée, sans progrès réel. »
À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Quand on demande à Julien ce qui pourrait le faire changer d'avis, il estime que concentrer toutes les responsabilités sur une seule personne, c'est la condamner à l'épuisement. Il imagine plutôt une séparation claire de la fonction managériale entre deux dimensions : d'un côté, la gestion humaine trop délaissée par les ressources humaines, tournée vers l'accompagnement et le soutien ; de l'autre, l'organisation du travail, avec ses contraintes, ses plannings et ses objectifs.
« Cette répartition, estime-t-il, pourrait offrir de meilleures conditions pour tous. Elle permettrait d'alléger la charge, de redonner de la cohérence au travail et de laisser chacun se concentrer sur ce qu'il fait de mieux. » Et peut-être que l'envie d'encadrer reviendra, non sous le poids d'une obligation, mais portée par une décision consciente.
Toute l’actualité à 1€ le premier mois S'abonner
ou
https://www.lepoint.fr/societe/en-quatre-mois-j-etais-completement-cramee-le-role-de-manageur-peut-il-encore-attirer-08-12-2025-2604891_23.php
Le 9 décembre 2025 à 06h45
Seuls 16% des Français déclarent placer une forte confiance en leur supérieur, selon une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales publié en 2025. AdobeStock
DÉCRYPTAGE - Ils sont peu nombreux à marcher avec succès sur la ligne de crête entre efficacité et popularité. Ces chefs conjuguent empathie et sérieux, bienveillance et autorité, leur offrant l’adhésion des troupes et la confiance de la hiérarchie.
«Ma carrière est finie». Ce funeste message, Mathilde* l’avait adressé à son conjoint un matin de 2019, les yeux humides. Cette cadre dans l’édition se souvient de chaque minute de cette journée où elle a appris la triste nouvelle : François*, son chef adoré, quittait l’entreprise. Et après lui, le déluge. La quinquagénaire s’était enfuie de la salle pour se réfugier aux toilettes et laisser exploser sa peine. «Je n’imaginais plus mon quotidien sans celui qui avait rallumé ma flamme au travail. Il m’avait rendu une estime personnelle, piétinée par mes précédents supérieurs.»
Si depuis la vie a repris son cours, elle n’a rien oublié de celui qui alliait aisément empathie et sérieux, bienveillance et autorité. «Il ne comptait pas ses heures, débordait d’idées, servait de sas entre la hiérarchie et nous, ne nous faisant jamais porter les contraintes de la direction», énumère-t-elle. Cette description s’apparente à une liste de Noël du manager rêvé. Une utopie, lorsque seuls 16% des Français…
Cet article est réservé aux abonnés. Il vous reste 88% à découvrir.
Vente Flash
-50% sur l'abonnement numérique
Déjà abonné ? Connectez-vous
https://www.lefigaro.fr/decideurs/management/il-a-rallume-ma-flamme-au-travail-les-secrets-des-managers-qui-reussissent-a-avoir-la-cote-sans-renoncer-aux-resultats-20251209