Le lycée sans téléphone portable : impossible, vraiment ? Voici la solution “très simple” d’un professeur

Devant le lycée Buffon, à Paris, le 16 juin 2025. STEPHANE LEMOUTON/SIPA
Bouter les portables hors des salles de classe, une cause perdue ? En annonçant ce vendredi 28 novembre, lors d’une rencontre avec des lecteurs de la presse quotidienne régionale, sa volonté d’étendre aux lycéens la pause numérique intégrale, officiellement imposée aux collégiens depuis septembre, Emmanuel Macron a lancé un beau pavé dans la mare.

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L’annonce a pris les acteurs du monde éducatif de court, mais n’est pas non plus totalement surprenante. Le locataire de l’Élysée a fait de la mise au pas des réseaux sociaux l’un des derniers grands combats de sa présidence. Et pour cause : il considère lesdits réseaux et plus globalement les smartphones comme directement responsables de la fragilisation intellectuelle et des troubles psychiques de la jeunesse. « Les jeunes en sont dépendants, comme une drogue », a-t-il ainsi asséné face à ses interlocuteurs réunis par le groupe Ebra (« l’Est républicain », « le Progrès »…) dans les Vosges. D’où cette volonté d’« aller au bout de la démarche (d’interdiction) » et de sanctuariser l’école pour qu’elle (re) devienne « le lieu où l’on apprend et où l’on échange »… en décrochant le nez des écrans.
Ambivalence de la communauté enseignante
Reste à passer de la parole aux actes. Et, là, rien n’est acquis. Car, bien que les smartphones soient officiellement proscrits au collège depuis 2018 et uniquement autorisés pour des usages pédagogiques dans les salles de classe des lycées, ils restent massivement présents. La communauté enseignante développe en effet à leur égard un discours ambivalent. D’un côté, des alarmes récurrentes sur leur nocivité en salles de profs. Mais de l’autre, une forme de fatalisme dès qu’il s’agit de réfléchir à des modes de régulation. Le Snes-FSU, majoritaire dans le second degré, a ainsi qualifié la sortie élyséenne de « coup de com », constatant que, faute de budget, la « pause numérique intégrale » au collège prétendument contraignante depuis septembre n’est appliquée que de manière très aléatoire.
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Or, à bien regarder ce qui se passe sur le terrain, la difficulté à réguler les usages numériques des élèves – au moins dans les salles de classe – relève moins d’une question de moyens que d’une question de volonté et de capacité chez les adultes à se mettre d’accord. Faut-il forcément se doter de casiers sécurisés et dépenser des dizaines de milliers d’euros par établissement ? Non, il existe des solutions toutes simples Elles sont mises en œuvre individuellement ou collectivement par des groupes d’enseignants et l’on se demande bien pourquoi ils ne font pas davantage d’émules. Nous avons ainsi tendu notre micro à Jérôme Presneau, professeur de lettres-histoire-géographie au lycée professionnel Goussier de Rezé, dans la périphérie de Nantes. Depuis trois ans, pour un investissement de… quelques euros, il est parvenu à apaiser radicalement le climat de ses classes. Le miracle ? Une boîte en bois ! Vous avez dit impossibilité…
La solution « très simple » d’un professeur en lycée professionnel
« Les collègues se plaignent beaucoup, et à raison, des perturbations causées par les portables en cours. Ils sont censés être éteints dans les sacs et cartables mais ça n’est évidemment pas le cas. Donc non seulement, vous peinez à avoir l’attention des élèves, mais en plus vous êtes régulièrement interrompus par une sonnerie. Sans parler des risques d’être enregistrés ou filmés à tout moment à votre insu. Il y a trois ans, avec quelques collègues d’une même classe, on a donc décidé de tenter une solution toute simple : acheter des petites boîtes posées sur nos bureaux – un peu comme les corbeilles à doudous en maternelle ! – dans lesquelles les élèves viennent poser leur portable en tout début de cours. Ils ne les récupèrent que 50 minutes plus tard à la fin de la séquence, sauf si nous en avons besoin pour un usage pédagogique particulier.
Au début, les collègues ont regardé notre démarche avec perplexité. On nous a dit : “Comment vous allez faire si les jeunes refusent de le donner ? Et, s’il y a de la casse, ce sera sous votre responsabilité ! Ça risque de créer des tensions avec les familles”. Mais il n’y a rien eu de tout cela. Les parents nous soutiennent et les élèves se soumettent à la règle sans rechigner. Je ne les flique pas. En revanche, s’ils conservent leur portable, je m’en rends compte immédiatement puisque je me charge moi-même de la restitution. C’est très dissuasif. On a bien eu quelques malins au début qui ont essayé de venir avec un deuxième appareil mais, quand ils se sont rendu compte que toute la classe était concentrée sur le cours, ils n’ont pas essayé de le sortir.
Un an après que nous avons lancé l’expérience, l’ensemble de nos collègues du lycée ont décidé d’adopter notre méthode, ce qui a permis d’avoir une posture cohérente sur l’ensemble de l’établissement et de réduire à zéro, ou presque, les contestations. Pour les jeunes qui arrivent en 2nde, désormais, la règle est clairement posée : le portable, c’est dans la petite boîte au début du cours. Ils n’en sont aucunement traumatisés même si, rassurez-vous, on ne les a pas transformés : dès qu’ils sont sortis dans le couloir, vous les retrouvez le nez sur l’écran.
Le bilan coût-avantage de l’expérience est vraiment très positif. La boîte ne coûte rien, à peine quelques euros, et l’impact en termes d’ambiance de classe est considérable. On nous prédisait que récupérer les portables nous prendrait un temps fou : ça prend trente secondes ! Et ces trente secondes sont largement compensées par la diminution très nette des perturbations et distractions pendant le cours. En termes de temps de cerveau disponible, ce ne sont pas des secondes mais des minutes que nous gagnons.
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Ce qui est étrange c’est que cette solution très simple n’ait jamais été généralisée. Hormis nos collègues les plus proches, personne n’est venu nous voir pour nous demander comment nous faisions. C’est un peu comme si, entre adultes, on partait du présupposé qu’il serait vain de chercher à réguler l’usage des portables. Il faudrait des casiers compliqués, on n’aurait pas les moyens, juridiquement ça ne tiendrait pas… J’entends tout à fait ces objections s’il s’agit d’interdire complètement les smartphones dans l’enceinte des établissements, a fortiori dans les lycées où une partie de nos élèves sont majeurs, mais en ce qui concerne l’interdiction des portables pendant le temps de classe, des solutions existent, on l’a démontré.
Je ne m’explique pas trop cette réticence de l’Education nationale et de la profession à se saisir de la question des écrans. On paye peut-être l’absence de réflexion collective sur la place du numérique dans les établissements et plus globalement l’absence de réflexion sur le projet éducatif que nous portons. Nous, les professeurs, nous avons une vision un peu individualiste du métier : chacun prépare sa séquence de son côté, sans trop se préoccuper de la cohérence globale de ce que nous proposons. Une classe peut ainsi passer une journée entière exposée aux écrans en salle informatique parce que tous les professeurs l’auront réservée à la suite et le lendemain pas du tout.
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Personnellement, j’ai une vision assez balancée des écrans et des réseaux sociaux. Je constate bien, comme de nombreux collègues, une difficulté croissante à lire des textes longs, à se concentrer sur des tâches exigeantes. Les jeunes que nous avons en face de nous sont habitués à une forme de zapping permanent et nous devons nous-même nous y adapter. Depuis mes débuts en 1996, je me rends bien compte que mes cours se sont adaptés à ce format zapping, qu’ils comportent beaucoup moins de séquences longues.
Cela me questionne, mais je me refuse à tomber dans un discours de déploration ou de nostalgie. Je ne pense pas qu’il y a trente ans les gamins lisaient tout Balzac en lycée professionnel ! Et aujourd’hui, on arrive tout à fait à les intéresser à des auteurs contemporains dès lors qu’ils résonnent avec leurs vécus. Nous travaillons, entre autres auteurs, sur l’œuvre de Leïla Slimani autour de la thématique “comment être maître de son temps”, et je ressens chez eux une véritable attention. Mais s’adapter à la réalité du fonctionnement cognitif de nos gamins n’est pas laisser faire. D’où la nécessité, à mes yeux, de prendre le contrôle des portables pendant l’heure de cours. »

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Propos recueillis par Gurvan Le Guellec

https://www.nouvelobs.com/societe/20251130.OBS110216/le-lycee-sans-telephone-portable-impossible-vraiment-voici-la-solution-tres-simple-d-un-professeur.html