"C'est quelqu'un de très ambitieux" : qui est Frédéric Merlin, l'homme d'affaires derrière l'arrivée de Shein au BHV Marais ?

Alors que la marque d'ultra-fast-fashion doit être fixée vendredi sur une éventuelle suspension de sa plateforme en France, “L'Œil du 20 Heures” et franceinfo s'intéressent sur celui qui a mis la lumière sur le géant chinois à la faveur de son installation dans son célèbre centre commercial parisien.
De son propre aveu, c'est l'affiche qu'il n'aurait pas dû faire. Sur les trois étages du mythique BHV Marais, au 52 rue de Rivoli, est apparu le patron de Shein le 1er novembre dernier. Aux côtés du milliardaire sino-américain Donald Tang, Frédéric Merlin, 34 ans, à la tête de la Société des grands magasins (SGM), qui exploite le BHV Marais. Satchi, le chihuahua à poil long du président de la marque d'ultra-fast-fashion, se trouve entre les deux hommes, dont les visages affichent l'air satisfait d'une affaire rondement menée. “Shein : première ouverture mondiale le 5 novembre”, annonce la pub géante.
La photo a été prise à l'occasion d'une visite estivale du trentenaire à Los Angeles (Etats-Unis) pour une rencontre “qui pourrait bien redessiner les contours du retail [vente au détail] français”, prévenait Frédéric Merlin le 7 août sur Instagram. Promesse tenue : un mois après l'ouverture du corner au sixième étage du BHV, le secteur de l'habillement n'a jamais été aussi soudé contre l'arrivée du concurrent asiatique dans la capitale, puis dans cinq villes de France.
Une fronde qui met l'entreprise Shein dans la lumière : au même moment, les autorités s'intéressent, ces dernières semaines, aux produits vendus sur son site et découvrent des poupées sexuelles pédopornographiques. “Nous prenons des mesures correctives immédiates et renforçons nos dispositifs internes afin d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise”, avait affirmé Quentin Ruffat, porte-parole de Shein, interrogé par France 2. Quelques jours plus tard, un député des Républicains saisissait à son tour la justice pour dénoncer la vente de couteaux et des poings américains sur la plateforme. Sans attendre, le gouvernement a demandé la suspension temporaire de Shein en France, malgré le retrait des produits illicites. Dans ce dossier (qui ne concerne que les ventes en ligne, et donc pas le BHV), la décision du tribunal est attendue vendredi 19 décembre dans l'après-midi.
Pour tenter de faire passer la pilule auprès du secteur de l'habillement, Frédéric Merlin a donné de sa personne. “Il m'a appelé le soir de l'annonce de la venue de Shein, à 20 heures, j'étais sur le pas de ma porte, c'était complètement lunaire”, se souvient Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin. “Il m'a dit : 'On est en train de s'écharper dans les médias, je trouve ça plus sympa et plus correct qu'on puisse se voir directement'”, poursuit-il. Une conversation d'une vingtaine de minutes, qualifiée de “quasi-monologue”, durant laquelle l'homme d'affaires lui a affirmé, selon Yann Rivoallan, avoir le soutien de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, pour l'arrivée de Shein sur le territoire français.
Démenti formel de la mairie. “On l'a su par la presse, on ne l'a pas su par Monsieur Merlin”, assure le communiste Nicolas Bonnet-Oulaldj, adjoint chargé du commerce. “Il nous a déclaré la guerre”, affirmait-il même dans les colonnes du Parisien. Comme une riposte, Anne Hidalgo a annoncé mardi au Conseil de Paris son intention de se positionner pour racheter les murs du BHV Marais en cas d'échec des discussions de la SGM avec les Galeries Lafayette. Sollicité par “L'Œil du 20 Heures” de France 2 et franceinfo, Frédéric Merlin a décliné toute proposition d'interview.
“Il flirte avec le mensonge, c'est sa façon d'être.”
“Frédéric Merlin est une personnalité contrastée”, admet Frédéric Berthet, son mentor chez Omnium, l'entreprise dans laquelle le jeune homme a fait ses premiers pas dans l'immobilier à l'âge de 17 ans, d'abord en stage, puis en alternance. “C'est quelqu'un d'extrêmement chaleureux, jovial, drôle, très drôle”, surenchérit-il. “Mais c'est aussi quelqu'un d'extrêmement pugnace et de très ambitieux.”
Pas timide devant la caméra, l'homme d'affaires raconte, durant 2 heures, au micro de l'intervieweur Guillaume Pley, son enfance lyonnaise au sein d'une “famille très aimante”. Sur la chaîne YouTube Legend, il fait le récit de ses débuts dans le monde des affaires avec, affirme-t-il, un simple prêt étudiant de 15 000 euros et de grands projets.
“Son père [entrepreneur lyonnais mort en 2018] les a très tôt emmenés [avec sa grande sœur Maryline] rencontrer des industriels, avec beaucoup de grands décideurs. Donc il a vite eu cette capacité à être à l'aise et à s'adapter à des gens plus âgés”, analyse encore son mentor. Une qualité et un réseau familial qui lui permettront de nouer des relations durables utiles pour prospérer sur son créneau : le rachat de centres commerciaux en difficulté dans des villes moyennes.
Derrière nombre de ses investissements : la figure de Jean-Paul Dufour, un discret homme d'affaires lorrain. Et une “amitié” avec Nicolas Sarkozy. En juin, ils s'affichaient ensemble avec des figures du secteur bancaire sur le toit du BHV,et plus récemment au Parc des princes, douze jours après la sortie de prison de l'ex-président.
Toujours à l'aise, même lorsque l'arrivée de Shein fait polémique et que les marques quittent une à une son enseigne, dénonçant notamment des impayés, le trentenaire enchaîne les médias et répond aux questions des députés avec une certaine décontraction. Le sujet Shein ? “La parfaite démonstration de la complète déconnexion de l'appareil politique et de ce qu'est la réalité et la volonté des Français”, ose-t-il lors de son audition à l'Assemblée nationale.
“Si j'avais été lui, j'aurais joué profil bas. Ça n'a pas été son choix. On va dire que c'est une question de caractère.”Un acteur du dossier
à franceinfo
De l'avis de tous ses collaborateurs contacté par franceinfo et France 2, Frédéric Merlin laisse un souvenir agréable, presque charmeur, avec une “garde rapprochée” aux aguets. “C'est quelqu'un de très sympathique, sa sœur aussi, mais il a tendance à chercher les paillettes”, nuance une source en interne. Son récent anniversaire à Saint-Tropez en grande pompe, aux côtés de l'animateur Cyril Hanouna et du chanteur du groupe Tragédie, marque les esprits et fait grincer des dents.
Squeezie, Léna Situations ou encore Studio Danielle… Dans une collusion des genres toute particulière, l'homme d'affaires se présente aussi à ses 19 000 abonnés sur Instagram comme l'“ami” des influenceurs de la nouvelle génération, qu'il fait parfois venir pour des opérations communication tonitruantes au BHV Marais. “Le commerce, c'est le buzz”, n'hésite-t-il pas à marteler dans Le Progrès, comme un mantra, pour justifier la venue de Shein dans son magasin, avant d'ajouter, dans une rare concession : “Le buzz des poupées pornographiques, je m'en serais bien passé.”
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