Commission d’enquête sur l’audiovisuel public : dans une lettre, Patrick Cohen dénonce la «malveillance» du rapporteur Charles Alloncle

Le journaliste politique doute de «l’utilité» de sa propre audition, le 18 décembre dernier, et accuse le député UDR d’avoir porté «gravement» atteinte à la «séparation des pouvoirs».

«Un certain nombre de mes déclarations ont été travesties, déformées ou commentées de façon malveillante par M. le rapporteur Charles Alloncle », dénonce dans une lettre, consultée ce mardi 23 décembre au matin par Le Figaro, le journaliste Patrick Cohen qu’il a adressée lundi en début de soirée aux députés membres la Commission d’enquête sur l’audiovisuel public. L’éditorialiste politique de France Inter, qui a été auditionné jeudi dernier par cette commission, doute dans son texte de «l’utilité de (s)on audition et (de) la sincérité de la démarche entreprise».
Depuis plusieurs jours, de vives tensions ont émergé au sein de la Commission entre son rapporteur, le député UDR Charles Alloncle, et son président, le député Horizon Jérémie Patrier-Leitus qui l’accuse de faire de la «politique spectacle» voire de transformer l’exercice parlementaire en «tribunal politique». Le député centriste, dont le constat est partagé par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a indiqué ce mardi matin avoir suspendu l’envoi des convocations aux auditions après une multiplication d’incidents. Une réunion a également été prévue le 6 janvier, afin de retrouver un «cadre digne, sérieux et respectueux». «Il ne s’agit pas d’une suspension de la commission ou de ses travaux, qui reprendront. Mais nous avions fixé des règles et celles-ci ne sont pas toujours respectées», se défend le député Horizons à l’AFP. Cette commission sur la neutralité et le financement de l’audiovisuel public a été créée à la demande de l’UDR, parti allié du RN, qui dénonce l’absence de pluralisme dans ces médias et prône la privatisation du secteur.

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«Des conclusions politiques qu’il semble avoir déjà écrites»
Dans sa lettre, Patrick Cohen accuse encore le rapporteur Charles Alloncle d’avoir «gravement méconnu le principe de séparation des pouvoirs» et d’avoir «discrédité par avance des conclusions politiques qu’il semble avoir déjà écrites». Le journaliste politique fait ici référence à la diffusion début septembre par le magazine L’Incorrect d’une vidéo dans laquelle les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen tiennent des propos pour lesquels ils ont été vivement accusés de connivence. Face à deux responsables socialistes, Thomas Legrand, qui a été suspendu par France Inter, évoquait notamment les stratégies de la gauche aux prochaines élections et lâchait : «Nous, on fait ce qu’il faut pour (Rachida) Dati, Patrick (Cohen) et moi». Les deux journalistes ont porté plainte pour «pour atteinte à l’intimité de la vie privée». «Je savais qu’en menant leurs investigations, les commissions d’enquête peuvent découvrir des faits délictueux. J’ignorais que leur rapporteur avait le pouvoir de décréter ce qui est légal et ce qui ne l’est pas», accuse Patrick Cohen dans sa lettre.
Le journaliste politique estime n’avoir pu se défendre lors de son audition. «Libre à M. le rapporteur de porter l’accusation, encore faudrait-il que par simple respect du contradictoire, les accusés puissent y répondre. Or cette question, porteuse d’un grief extrêmement grave, ne m’a pas été posée durant mon audition», écrit-il. Et de se défendre ainsi sur le fond : «Et je ne crois pas qu’il ait été démontré lors de cette même audition que Mme Rachida Dati ait subi un traitement défavorable ou dénigrant sur les antennes du service public».
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Et Patrick Cohen de terminer ainsi sa lettre aux membres de la commission sur l’audiovisuel public : «En conclusion, je déplore vivement avoir dû défendre mon impartialité et ma rigueur face à des accusations qui en étaient si dépourvues. J’ose tout de même espérer que mes réponses seront prises en compte par votre commission, davantage que dans la communication actuelle de M. le rapporteur». En voici le texte que Le Figaro publie en intégralité :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les député(e)s, membres du bureau de la commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public,
J’ai été auditionné le 18 décembre dernier par votre commission et je remercie les députés présents pour l’attention portée à nos échanges. Néanmoins, la façon dont un certain nombre de mes déclarations ont été travesties, déformées ou commentées de façon malveillante par M. le rapporteur Charles Alloncle, me semble jeter un doute sur l’utilité de mon audition et la sincérité de la démarche entreprise. Passer la publicité
- Dans un post publié sur X le 18/12 à 16:13 , M. Alloncle maintient qu’à «la demande des journalistes de l’Incorrect, un constat d’huissier a établi que, malgré des coupes de montage, les propos [tenus le 7 juillet lors d’un rendez-vous informel avec deux responsables du PS] n’ont été ni tronqués ni déformés.» Cette affirmation est inexacte, le «constat d’huissier» tel qu’il a été dévoilé par un post d’une journaliste de l’Incorrect et lu par mes soins pendant l’audition, ne comporte aucun des termes utilisés par M. le rapporteur : «Je constate que les sous-titres précités sont conformes aux “rush” qu’il m’a été donné de voir et d’entendre ce jour.
- Dans un post publié sur X le 18/12 à 18:56 , M. Alloncle affirme qu’à propos du meurtre du jeune Thomas à Crépol, je n’ai «exprimé AUCUN regret» à propos d’un éditorial où je «minimisais les faits». Il ne me semble pas que ces deux points ressortent de nos échanges. Par ailleurs, dans le même post, M. Alloncle indique que j’ai «qualifié de “néo-nazis” les proches de Thomas venus manifester leur douleur à Romans-sur-Isère». Cette affirmation est fausse, et je l’ai souligné en cours d’audition. Les militants d’ultra-droite, dont certains identifiés par les autorités de police comme appartenant à la mouvance néo-nazie, n’étaient pas des «proches de Thomas». Et ils ne sont pas venus «manifester leur douleur» mais, armés et cagoulés, répandre la violence dans la cité de la Monnaie à Romans.
- Dans un entretien mis en ligne le 21 décembre, par le site «Les Incorrectibles», M. Alloncle qualifie mon audition devant votre commission de «parfaitement lunaire» (à 1h06) et résume ainsi son interprétation des bribes de phrases entendues dans l’une des vidéos volées de l’Incorrect : «On mettra tous nos moyens, les antennes du service public, pour discréditer Rachida Dati.» Libre à M. le rapporteur de porter l’accusation, encore faudrait-il que par simple respect du contradictoire, les accusés puissent y répondre. Or cette question, porteuse d’un grief extrêmement grave, ne m’a pas été posée durant mon audition. Et je ne crois pas qu’il ait été démontré lors de cette même audition que Mme Rachida Dati ait subi un traitement défavorable ou dénigrant sur les antennes du service public.
Au cours de ce même entretien, M. Alloncle déplore que nous ayons «porté plainte [pour atteinte à l’intimité de la vie privée] et «attaqué sans vergogne des confrères (…) pour un motif parfaitement fallacieux.» Je savais qu’en menant leurs investigations, les commissions d’enquête peuvent découvrir des faits délictueux. J’ignorais que leur rapporteur avait le pouvoir de décréter ce qui est légal et ce qui ne l’est pas…
Plus sérieusement, en prenant parti dans une procédure judiciaire en cours, à propos d’un objet (les vidéos volées) qu’il a lui-même placé au centre de son enquête, j’estime que M. le rapporteur a gravement méconnu le principe de séparation des pouvoirs. Et discrédité par avance des conclusions politiques qu’il semble avoir déjà écrites. Passer la publicité
En conclusion, je déplore vivement avoir dû défendre mon impartialité et ma rigueur face à des accusations qui en étaient si dépourvues. J’ose tout de même espérer que mes réponses seront prises en compte par votre commission, davantage que dans la communication actuelle de M. le rapporteur.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés membres du bureau, l’expression de ma respectueuse considération.
Patrick Cohen
https://www.lefigaro.fr/medias/commission-d-enquete-sur-l-audiovisuel-public-dans-une-lettre-patrick-cohen-denonce-la-malveillance-du-rapporteur-charles-alloncle-1-20251223