Atlantico: Taxe Zucman le capitalisme français est-il un capitalisme d'héritiers ? Ce que la gauche ne veut pas voir sur la dynamique des grandes fortunes

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Moins de 30 % des familles présentes dans le classement Challenges des grandes fortunes de 1996 y figurent encore en 2025.
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Moins de 30 % des familles présentes dans le classement Challenges des grandes fortunes de 1996 y figurent encore en 2025.

STAGNATION (TRES) SUPPOSEE DE LA FORTUNE

30 décembre 2025

Taxe Zucman : le capitalisme français est-il un capitalisme d'héritiers ? Ce que la gauche ne veut pas voir sur la dynamique des grandes fortunes
On entend souvent, à gauche, dire que “la France est un pays d’héritiers”. Une affirmation à nuancer, alors que moins de 30 % des familles présentes dans le classement Challenges des grandes fortunes de 1996 y figurent encore en 2025.

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Atlantico : “En 20 ans, les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur patrimoine être multiplié par 9”, affirmait récemment Complément d’enquête. Est-ce à dire qu’il n’existe pas (ou presque pas) de renouvellement des fortunes en France, que le capitalisme français serait un capitalisme d’héritiers ? Quelles sont les limites évidentes de cette analyse ?

Pierre Bentata : Vous avez raison de pointer du doigt cette réalité. Notons ainsi que, selon le classement même de Challenges pour 2025, moins de 30 % des familles ou individus présents dans les 500 plus grandes fortunes professionnelles de France en 1996 figurent encore dans celui de cette année – un turnover impressionnant de plus de 70 % qui s’explique en partie par l’arrivée de nouveaux riches, comme les fondateurs de Datadog ou Mistral AI dans la tech, ou encore des figures comme Hassanein Hiridjee et d’autres entrants récents. En d’autres termes, il existe en France un turn-over assez élevé, sur le temps long au moins et en excluant le top 10 qui demeure relativement intouchable – avec des piliers comme les familles Hermès (première en 2025 avec 163,4 milliards d’euros, héritiers du fondateur), Bettencourt Meyers (L’Oréal) ou Wertheimer (Chanel) présentes depuis les origines. C’est une dynamique moins forte que dans d’autres pays, notamment aux États-Unis où, selon Forbes en 2025, environ 67 % des milliardaires sont self-made, mais elle demeure assez indéniable. Celle-ci s’explique par un double phénomène, qui peut être contre-intuitif : d’un côté, on observe des inégalités qui persistent. Les indicateurs comme le coefficient de Gini, calculé par l’INSEE, montrent que globalement les inégalités sont relativement stables, autour de 0,297-0,300 en 2023. Elles tendent à augmenter après des périodes de crise, mais, dans l’ensemble, si l’on prend une période récente — disons de 2021 à 2023 —, on ne peut pas dire que les inégalités aient explosé. En revanche, ce qui est beaucoup plus difficile à appréhender, c’est que ces inégalités stables ne concernent pas les mêmes individus en haut et en bas de l’échelle. Le fait que les inégalités restent stables donne l’impression d’un système figé, alors qu’en réalité, au niveau microéconomique, il y a du mouvement : entre les classes sociales, entre les différentes catégories socioprofessionnelles. C’est quelque chose de difficile à percevoir parce que, oui, nous avons un système inégalitaire. Et notamment, sur le plan éducatif, on constate que l’école ne permet pas facilement aux catégories les plus modestes d’accéder aux diplômes les plus valorisés, comme le souligne l’OCDE dans ses rapports sur la mobilité sociale – il faut ainsi six générations en France pour qu’un individu issu des milieux les plus modestes atteigne le revenu moyen, contre 4,5 en moyenne OCDE. Cela crée un véritable plafond de verre, en particulier pour les catégories ouvrières. Mais, dans le même temps, au sommet de la distribution, on observe un renouvellement réel. Il est moins fort qu’ailleurs, certes – avec une mobilité intergénérationnelle plus faible que dans les pays nordiques –, mais il existe. Personnellement, je pensais que l’on était plutôt sur un ratio de 60/40, mais le chiffre précis de moins de 30 % de persistence depuis 1996 ne me choque pas. Cela démontre bien que, globalement, les plus riches d’aujourd’hui ne sont pas les enfants des plus riches d’hier. Il y a donc bel et bien un phénomène de renouvellement de la classe la plus riche dans le pays.

MOTS-CLES
grandes fortunes , Taxe Zucman , héritiers , héritage , fiscalité , gauche , Richesse
THEMATIQUES
Economie
A PROPOS DES AUTEURS
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Pierre Bentata
Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université.

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Gabriel A. Giménez Roche
Gabriel A. Giménez Roche est professeur associé d'économie à NEOMA Business School. Il enseigne la macroéconomie, la théorie des cycles et les processus entrepreneuriaux dans des programmes de premier cycle et des cycles supérieurs. Il porte un vif intérêt aux sujets macroéconomiques qu'il commente dans la presse française et internationale. Ses recherches portent sur la théorie du malinvestissement, la zombification économique et les routines entrepreneuriales. Les recherches de Gabriel ont été publiées dans le Quarterly Review of Economics and Finance, Small Business Economics, The World Economy, Journal of Economic Issues, entre autres. Il est membre de l'American Economic Association et de la Royal Economic Society.