Économie
Patrimoine immobilier mais aussi assurance vie, œuvres d'art, cryptomonnaies, or et biens mobiliers de luxe… L'impôt sur la fortune improductive provoque une levée de boucliers des professionnels. Il est injuste et incite les épargnants à se cacher ou à fuir.
Publié le 24 novembre 2025 à 8h00 Jean-Paul Mattei, à l’origine de l’amendement sur le nouvel IFI. Notaire de formation, ils se targue de « vouloir répondre à un souci d’une forme d’injustice sociale et fiscale ». Photo © JEANNE ACCORSINI/SIPA
Par un curieux tour de passe-passe législatif plutôt baroque, les députés ont adopté, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances (PLF) 2026 et contre toute attente, un amendement déposé par le MoDem et soutenu par les députés PS, Liot et RN, qui crée l’impôt sur la fortune improductive. Il remplace un autre Ifi, l’impôt sur la fortune immobilière voulu par Emmanuel Macron en 2018 pour remplacer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et réorienter l’épargne vers l’économie productive. Le plus incongru dans cette affaire, c’est que cet amendement a été porté par Jean-Paul Mattei, notaire de profession, qui devrait, à ce titre, être attaché à la transmission : « C’est comme confi er la direction des Monuments historiques à un fabricant d’éoliennes, décrypte l’expert Éric Turquin. Au pays de Le Nain, Chardin et Picasso, c’est très affligeant. »
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« Les bras m’en tombent, se désespère Gilles Belloir, directeur général de Placement-direct.fr. C’est le concours Lépine de la fiscalité ! » Pour le financier, cela relève surtout d’une grande improvisation : « Les députés jouent comme des enfants de 5 ans qui ont un bâton de dynamite entre les doigts » ; il dénonce un texte arrivé « sans aucune étude d’impact ». Gérard Bekerman, président de l’Afer, s’insurge, lui, contre le qualificatif “improductif” apposé au nom de cet impôt : cela cacherait « une imposture intellectuelle et économique ».
Par rapport à l’assiette actuelle de l’Ifi, celle de ce nouvel impôt sera considérablement élargie pour autant qu’il passe le cap de l’Assemblée et celui du Sénat, ce qui reste encore à voir. Outre le patrimoine immobilier (les foyers concernés pourront toutefois déduire un bien immobilier – dans la plupart des cas, la résidence principale -jusqu’à 1 million d’euros), entreront dans le calcul les contrats d’assurance vie (hormis celles investies en unités de compte), les liquidités, l’or, les objets précieux, les actifs numériques (crypto-monnaies), les biens de luxe mobiliers (yachts de luxe, voitures de collection, avions privés, œuvres d’art… ). Bref, tout ce qui dormirait et qui ne serait pas utile à la nation. Toujours ce même fantasme du rentier…
Le seuil de déclenchement de cet impôt sur la fortune improductive a été reconduit à 1,3 million d’euros. Rappelons que ce montant date de 2011 ; il avait été fixé pour les précédents impôts sur le patrimoine. Depuis, il n’a jamais été revalorisé alors que, sur la même période, l’inflation a été de plus de 25 % et que les prix de l’immobilier ont bondi de 30 % en moyenne sur le territoire national et de plus de 60 % dans certaines villes. Si le seuil de déclenchement est fixé à 1,3 million, le calcul de l’impôt pourrait, comme c’est le cas de l’Ifi actuel, commencer dès 800 000 euros. Là où le taux de l’Ifi est de 0,5 à 1,5 % selon la valeur des biens immobiliers, le patrimoine imposable du nouvel Ifi serait taxé à 1 %.
L’Ifi avait touché 186 000 foyers fiscaux en 2024 et rapporté 2,2 milliards de recettes. Vu tous les ajouts dans l’assiette de l’impôt sur la fortune improductive, le nombre de foyers concernés devrait donc être plus important, ce qui conduit Gérard Bekerman à affirmer que l’Ifi va « étendre silencieusement l’impôt à de nouveaux foyers de classe moyenne supérieure. Mais aucune estimation de recettes n’a été réalisée… C’est dire l’amateurisme ».
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Cerise sur le gâteau, cet impôt sur la fortune improductive n’est pas une nouveauté puisque le même amendement avait été déposé dans le cadre du PLF 2025, en octobre 2024, et examiné avant d’être rejeté. Les parlementaires ont donc de la suite dans les idées ; on ne peut que regretter qu’ils ne consacrent pas la même énergie à engager des économies dans la dépense publique.
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L’assurance vie : non, les fonds ne sont pas improductifs !
« Ce qui est improductif, c’est cet amendement », dénonce le président de l’Afer. Les montants investis dans l’assurance vie, placement préféré des Français devant le Livret A, parlent d’eux-mêmes : les fonds en euros financent les emprunts publics à hauteur de 618 milliards d’euros et les obligations d’entreprise à hauteur de 570 milliards. Autant dire que les fonds en euros financent l’économie. « Sans fonds en euros, sur qui la France pourrait compter pour financer sa dette ? », ironise Gérard Bekerman. Pour les assureurs, l’incohérence est profonde. « D’un côté, on incite les épargnants à constituer une épargne longue et sécurisée ; de l’autre, on la taxe comme s’il s’agissait d’un privilège », ajoute-t-il.
Sans compter que les recettes fiscales nettes attendues sont loin d’être positives. « Taxer l’assurance vie rapporterait peut-être 400 à 500 millions d’euros », poursuit-il, mais cela « coûterait 5 à 6 milliards annuels de surcoût de la dette publique ». Ce qui fait dire à Andréa Ganovelli, cofondateur de la “fintech” Green-Got, qu’ « en intégrant les fonds en euros dans le calcul de l’impôt sur la fortune improductive, l’État se tirerait une balle dans le pied ». Et d’étendre son analyse aux conséquences concrètes du nouvel Ifi sur l’épargne des Français, bien au-delà de la fiscalité. « Taxer les fonds en euros revient à pénaliser la prudence et à encourager la prise de risque. » Ainsi, l’amendement favorise le transfert du risque financier sur les ménages, à commencer par les épargnants les plus âgés, qui détiennent la majorité de ces contrats pour sécuriser leur retraite.
« Comment concilier cette taxation avec les discours sur la réindustrialisation verte, la stabilité de l’épargne longue ou le pacte de confiance entre l’État et les ménages ? interroge Gérard Bekerman. Quand un État taxe la prudence, il décourage l’investissement et prépare d’abord la méfiance, ensuite la défiance. » Avec 755 000 adhérents et 2 millions de bénéficiaires, l’assureur promet de faire entendre sa voix avant l’adoption définitive du texte. Entre les épargnants et l’assurance vie, c’est une question de confiance que cet amendement « infondé, funeste et partisan » risque de briser définitivement.
Les œuvres d’art : la mesure “pousse-au-crime”
1981, 1988, 1998, 2014, 2025… Depuis l’instauration de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), sous François Mitterrand, l’étau fiscal autour de la taxation des œuvres d’art se resserre. En 1998, le Conseil des impôts plaidait pour leur intégration à l’ISF, mais le Conseil constitutionnel affirmait, dans sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, que « l’impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et qui résulte desrevenus en espèce ou en nature procurés par ces biens ; qu’en eff et en raison de son taux et de son caractère annuel, l’impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables ». Assujettir les œuvres d’art à l’ISF aurait été contraire à la décision du Conseil constitutionnel. En 2014, un amendement en faveur de leur intégration à l’ISF était rejeté par le Parlement qui évoquait alors le risque de fuite des œuvres d’art vers les pays qui ne les taxent pas, à savoir la Belgique et les Pays-Bas au nord, l’Italie et l’Espagne au sud.
À présent, « faire de la France l’une des seules nations à taxer les œuvres d’art entraînerait, selon Mathias Ary Jan, président du Syndicat des négociants en art, une fuite des collections privées, un repli des galeries étrangères, un ralentissement du mécénat… » L’expert Éric Turquin renchérit : « Greuze, La Tour, David… : ce qui fait la gloire de ces trois expositions aujourd’hui à Paris, ce sont les prêts de table aux provenant des collections privées ; demain, quel fou furieux acceptera de prêter un tableau, sachant qu’une valeur d’assurance lui sera donnée sur laquelle le propriétaire sera ensuite taxé. » Déjà aujourd’hui, les collectionneurs ne se privent pas de stocker une part importante de leurs œuvres d’art dans les ports francs de Genève ou de Luxembourg, où les objets entrent en franchise de droits et de TVA
Pour les professionnels du secteur, l’incompréhension est d’autant plus grande que la mesure ne rapporterait quasi rien à l’État. « Nous avons fait les calculs : l’intégration des œuvres d’art à l’Ifi rapporterait au maximum 100 millions d’euros alors que le secteur enrichit chaque année l’État de 1,4 milliard d’euros collectés sur les cotisations et la TVA », décrypte un grand acteur du marché de l’art. Sans compter la difficulté à évaluer le prix d’une œuvre d’art. « Ce sera une usine à gaz, impossible de mettre en place une grille d’évaluation, impossible à contrôler… », poursuit celui qui déplore « une mesure pousse-au-crime qui incite… à fuir ou à se cacher ». Éric Turquin pointe du doigt le risque de fuite non seulement des collectionneurs, mais aussi des artistes français qui « en un coup de pinceau créent du capital. Ils s’installeront à Bruxelles, Luxembourg ou Genève. C’est d’autant plus affligeant que le marché français de l’art est leader européen ». L’an dernier, la France représentait 56 % du marché de l’art européen.
En plus de l’Ifi, un autre amendement, déposé par le député LR Philippe Juvin, vise à taxer le patrimoine des holdings détenant des œuvres d’art à hauteur de 20 %. « Encore un élément qui alimente le cercle vicieux » , décrypte une source pour qui la mesure tombe au « pire moment ».
Et le président du Syndicat des négociants en art de rappeler que « l’art n’est pas un actif comme les autres, il ne produit ni rente, ni revenu mais nourrit la connaissance, la beauté et le lien social ». « La grandeur de la France, c’est sa culture et son patrimoine. La beauté, par nature, est improductive. Mais est-ce que Picasso était improductif ? Tout communiste qu’il était, il n’aurait pas aimé être traité ainsi », se désole Éric Turquin.
Or, bijoux et cryptomonnaies… Utiles pour qui ou pour quoi ?
Napoléons, lingots… Allez-vous bientôt devoir détailler le contenu de votre bas de laine ? L’or pourrait entrer dans le calcul de l’assiette retenue pour le calcul du nouvel Ifi. « Nos clients sont surtout dans une démarche de diversification de leur épargne et ont souvent d’autres classes d’actifs », explique Laurent Schwartz, directeur du Comptoir national de l’or ; il s’interroge d’ailleurs sur le sens de l’adjectif “productif” : « Qualifie-t-il un bien qui génère un revenu ou bien qui a une utilité ? ou qui sert à l’économie ou à un particulier ? » Ce métal précieux, qui n’est la dette de personne et qui ne souffre pas de risque de contrepartie, est négativement corrélé aux autres classes d’actifs ; c’est un bon moyen de se prémunir contre l’inflation. « De quel droit pourrait-on obliger un parti culier à se faire imposer sur ces actifs qui ont, peut-être, une destination autreque celle de rester improductifs ? », se demande Laurent Schwartz. « Récemment, il y a eu une vente extra ordinaire de bijoux à Genève, raconte Éric Turquin. Pourquoi croyez-vous qu’elle se soit déroulée en Suisse ? Parce que c’est un pays libre. La France est partie dans une logique soviétique qui sanctionne la propriété. »
Les monnaies numériques sont aussi dans le viseur des députés, au même titre que l’or et les métaux précieux. Pour le groupe BPS (Blockchain Process Security), spécialisé dans les solutions d’investissement en cryptoactifs, « cela marque un tournant majeur pour les gros détenteurs de cryptomonnaies et une double peine fiscale pour un secteur encore jeune, déjà en cadré et fortement volatil ». Rappelons que, selon une étude de Deloitte pour l’Adan (Association pour le développement des actifs numériques) publiée en avril, 5,5 millions de Français détiendraient au moins un cryptoactif et ils posséderaient entre 21,4 et 26,22 milliards d’euros de cryptomonnaies à début 2025. Ils doivent déjà régler une flattax de 30 % lors de la revente, ils devraient alors payer un impôt de 1 % sur la valeur de leur portefeuille.
Avec de probables conséquences que Chloé Desenfans, cofondatrice de BPS, décrypte : « En 2026, deux dynamiques vont converger. D’un côté, l’Europe généralise la transparence avec la mise en œuvre de DAC8 et, de l’autre, la France envisage de taxer la détention. Cela pourrait profondément modifier la manière dont les investisseurs structurent et déclarent leurs portefeuilles d’actifs numériques. »
Pour l’autre cofondateur de BPS, Nicolas Marchesse, c’est surtout un signal négatif alors que la France a de grandes ambitions en matière de souveraineté numérique et espère bien devenir une importante place pour les actifs numériques : « Le risque est l’impréparation. Cette réforme fiscale pourrait pousser les capitaux et les talents vers des pays plus accueillants, alors même que l’Europe tente de bâtir un cadre harmonisé. Il faut une fiscalité lisible, prévisible et incitative, pas punitive. »
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