Les Echos: Des chiffres à donner le tournis : l'IA, une opportunité risquée que les Etats-Unis saisissent sans hésitation

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Des chiffres à donner le tournis : l'IA, une opportunité risquée que les Etats-Unis saisissent sans hésitation
Les investissements dans l'intelligence artificielle atteignent des montants gigantesques outre-Atlantique. Ce qui fait peser des risques sur la croissance américaine en cas d'explosion de l'éventuelle bulle.

Construction d'un data center de Microsoft dans le Wisconsin. Les Etats-Unis misent sur des infrastructures massives pour soutenir la croissance de l'IA.
Construction d'un data center de Microsoft dans le Wisconsin. Les Etats-Unis misent sur des infrastructures massives pour soutenir la croissance de l'IA. (Mark Hertzberg/Zuma/SIPA)
Par Guillaume de Calignon

Publié le 24 nov. 2025 à 06:45Mis à jour le 24 nov. 2025 à 07:02
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Les chiffres donnent le tournis. Les économistes de la banque UBS prévoient que 571 milliards de dollars seront investis par les grandes entreprises américaines dans l'intelligence artificielle (IA) en 2026, contre une estimation de 423 milliards de dollars en 2025. Ces dépenses d'investissement progresseraient de 25 % tous les ans, pour atteindre 1.300 milliards de dollars par an d'ici à 2030. L'IA nourrit un optimisme débridé de l'autre côté de l'Atlantique, celui d'un avenir entre la fin du travail et l'abondance perpétuelle.

Les investissements dans le secteur sont tellement importants aux Etats-Unis qu'ils ont un impact macroéconomique déjà visible. Les dépenses dans les centres de données tirent la croissance, à l'heure où la consommation et le marché du travail, en raison des droits de douane de Trump, semblent marquer le pas.

Les contraintes physiques
Dans une étude publiée jeudi, les économistes de Coface estiment qu'au deuxième trimestre, ces dépenses des entreprises américaines représentaient entre 17 % et 23 % de la croissance de l'activité.

Donc, si bulle il y a aujourd'hui, son éclatement demain aura des conséquences, négatives cette fois-ci, sur le PIB. D'autant que, comme le note Neil Shearing, chef économiste de Capital Economics dans une étude, « le recours croissant à la dette et aux véhicules d'investissement à vocation spécifique pour financer les projets d'IA représente un risque à surveiller. Un effet de levier excessif a tendance à transformer les bulles sectorielles en crises systémiques. »

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Avec une incertitude supplémentaire : l'IA se construit autour d'OpenAI, une entreprise à but non lucratif, non cotée, et donc relativement opaque, et qui s'est déjà engagée dans des opérations circulaires avec d'autres acteurs de l'IA, comme Microsoft ou son fournisseur de puces, Nvidia, pour des montants dépassant 1.000 milliards de dollars.

Aurélien Duthoit, économiste chez Coface, envisage les problèmes économiques qui pourraient faire dérailler la belle mécanique. D'abord, le scénario de surchauffe dans lequel l'IA serait victime de son succès. « L'investissement dans les data centers est à la rencontre de deux mondes, celui du numérique qui croît d'une manière exponentielle et un univers physique, nécessairement limité, explique l'économiste. Les contraintes sont réelles : les data centers utilisent de l'électricité, de l'eau ; il faut mettre en place des turbines à gaz dans les centrales ou encore moderniser les infrastructures électriques. »

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IA : les financements XXL dans les data centers confrontés à la crainte d'une bulle

Or, on sent déjà les impacts. Le prix de l'électricité aux Etats-Unis a grimpé de 40 % en moyenne ces cinq dernières années. Par exemple, le centre de données d'Abilene, au Texas, en train d'être construit pour le projet Stargate qui allie OpenAI, Oracle et SoftBank, devrait atteindre une capacité (ou une consommation d'électricité) de 1,2 gigawatt d'ici à mi-2026, soit la consommation d'électricité de cinq villes de la taille de Milan.

« Pour un milliard de dollars investis dans les centres de données, on estime à 125 millions de dollars l'investissement nécessaire pour mettre à jour les réseaux d'électricité », rappelle Aurélien Duthoit.

La possibilité d'une bulle
L'autre scénario négatif, c'est celui des surcapacités qui apparaîtraient dans le cas où l'IA ne rencontrerait pas le succès escompté. Aujourd'hui, il est très difficile d'estimer la demande. « Les prévisions concernant la demande de calcul pilotée par l'IA divergent considérablement : l'écart entre les scénarios bas et hauts est en moyenne de 80 % », soulignent les économistes de Coface.

Le risque est que trop de centres de données aient été construits. L'offre pléthorique ferait face à une demande moins forte qu'espérée des utilisateurs. La bulle éclaterait. Mais les grandes banques de Wall Street, qui financent largement les investissements actuels, n'y croient pas.

L'IA est le champ de bataille entre la Chine et les Etats-Unis, un peu comme le spatial pendant la guerre froide.

Samy Chaar, chef économiste de la banque Lombard Odier
« Les investissements historiques dans les infrastructures ont généralement culminé entre 2 et 5 % du PIB, tandis que les cycles d'investissement liés à l'électrification du secteur manufacturier, dans les années 1920, et au boom des technologies de l'information, à la fin des années 1990, ont culminé autour de 1,5 à 2 % du PIB. Aux Etats-Unis, les investissements dans l'IA au cours des douze derniers mois restent inférieurs à 1 % du PIB, une impulsion importante mais non disproportionnée au regard des normes historiques », jugent les économistes de Goldman Sachs.

Tous ces scénarios sont crédibles. Mais, « l'IA est le champ de bataille entre la Chine et les Etats-Unis, un peu comme le spatial pendant la guerre froide », estime Samy Chaar, chef économiste de la banque Lombard Odier. « Les investissements dans cette technologie vont donc continuer à être soutenus, car il y va de l'issue de la confrontation entre les deux grandes puissances. Et ses implications sont plus larges que le simple enjeu de la domination technologique », explique-t-il.

Peut-être que les puissances estimeront qu'il faudra soutenir l'IA, quoi qu'il en coûte. Les Européens, grands absents de ce boom, ne devraient pas se croire à l'abri en cas d'explosion de l'éventuelle bulle financière. L'histoire de ces dernières décennies montre qu'à chaque crise, même celles venant des Etats-Unis, le Vieux Continent rebondit toujours moins vite que l'Amérique. Et à chaque fois, le différentiel entre les deux côtés de l'Atlantique s'accroît.

Guillaume de Calignon

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