« On a bouffé des terres
9 septembre 2025 à 09h21 Mis à jour le 10 septembre 2025 à 09h00
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À Cancale, charmante bourgade bretonne réputée pour ses huîtres et ses balades le long du littoral, c’en était trop. Avec près de 41 % de résidences secondaires sur son territoire, la commune d’Ille-et-Vilaine a décidé de reprendre la main. Le 29 août, le conseil municipal a voté une restriction de construction de logements secondaires sur plusieurs parcelles de la commune.
Des décisions similaires ont été prises à Chamonix (Haute-Savoie) et Bonifacio (Corse-du-Sud), ou encore par la communauté d’agglomération du Pays basque. Si la motivation principale est de freiner l’augmentation des prix de l’immobilier et de maintenir des habitants à l’année dans ces villes touristiques, ces mesures ont aussi un effet sur le plan écologique.
« En Bretagne, on a bouffé des terres pour ces résidences secondaires. Ces restrictions permettront de réduire l’artificialisation des sols », estime le journaliste Benjamin Keltz, auteur du livre Bretagne secondaire (éd. du Coin de la rue, 2023). « Ici, dans le neuf, les résidences secondaires sont plus consommatrices de mètres carrés que le logement permanent », détaille Éric Fournier, maire (UDI) de Chamonix. En mars, il avait été le premier maire à faire restreindre la construction de ces habitations, qui sont au nombre de 3,7 millions sur le territoire français.
« La problématique de l’eau est cruciale »
« Interdire les résidences secondaires neuves, c’est du résiduel, tempère Julien Watine, doctorant en urbanisme. La majorité d’entre elles s’acquièrent dans le parc de logement existant. » Une situation problématique, notamment lors du rachat de bâti et de terres agricoles. « Dans le Pays basque, des maisons de campagne sont achetées comme résidences secondaires alors que c’étaient des fermes », illustre Elouan Trichard, membre de la plateforme Se loger au pays - Herrian Bizi. Les terres agricoles perdent alors leur fonction productive. Un enchaînement d’effets qui « repose la question de la souveraineté alimentaire », selon Julien Watine.
Lire aussi : Au Pays basque, les résidences secondaires mangent les terres agricoles
Même sans nouvelles constructions, la concentration de logements secondaires dans certaines communes peut cependant créer des tensions sur les ressources en eau et sur les réseaux d’assainissement. « L’été, tout le monde arrive dans sa maison secondaire, donc la population croît énormément et ça consomme beaucoup d’eau potable », constate Benjamin Keltz. Lors de l’été 2022, l’île de Groix (Morbihan) avait dû faire face à une pénurie d’eau potable, à la suite d’une période de sécheresse. Dans cette commune insulaire, plus de la moitié des logements sont des résidences secondaires.
Le problème est le même pour la gestion des eaux usées. Certaines communes voient leurs réseaux d’assainissement surchargés durant les quelques semaines de l’été. Une situation qui a pu déboucher sur des débordements dans la mer entraînant des pollutions.
Multiplication des déplacements
Les 3,7 millions de résidences secondaires du territoire favorisent aussi une augmentation des déplacements des populations. « Les propriétaires réalisent des allers-retours pour leurs vacances dans ces logements. Parfois en voiture, ou même en avion », expose Bailey Ashton Adie, géographe à l’université d’Oulu (Finlande) et coautrice de l’ouvrage Second Homes and Climate Change (Routledge, 2024). Cette mobilité a des effets non négligeables : le transport correspond à 69 % de l’empreinte carbone du tourisme en France.
Autre conséquence indirecte : l’augmentation des résidences secondaires sur un territoire repousse les travailleurs et habitants à l’année de plus en plus loin de leurs lieux de vie et de travail. Un problème social, mais pas seulement estime Elouan Trichard : « Ça a un impact écologique, car les déplacements pendulaires ne font qu’augmenter, ce qui veut dire de plus de CO2. »
Pourtant, il reste difficile d’estimer précisément les effets sur l’environnement de ces lieux de villégiature. « On n’a pas de chiffres sur le fait que les résidences secondaires jouent sur le surtourisme, la surfréquentation d’espaces naturels et la dégradation de la biodiversité, reconnaît Elouan Trichard. Mais c’est évident qu’il y a un impact. »
https://reporterre.net/On-a-bouffe-des-terres-les-residences-secondaires-un-gouffre-ecologique-et-social
On compte en France 3,7 millions de résidences secondaires et de logements loués pour de courtes durées selon l’Insee, principalement dans des zones touristiques avec la conséquence que leurs habitants peinent à se loger. Une loi de novembre 2024 visant les logements de tourisme permet aux maires des communes concernées de se saisir d’outils leur permettant de réguler les résidences secondaires sur leur territoire. Un certain nombre de villes ont déjà sauté le pas.
Limiter les résidences secondaires dans certaines zones tendues
Une loi présentée par les députés du Finistère et des Pyrénées-Atlantiques Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz, a été votée en novembre 2024 dans le but de répondre à la pénurie de logements et aux tensions sur le marché locatif que connaissent un certain nombre de territoires aujourd’hui et qui oblige de nombreux de leurs habitants à déménager loin de leur travail, voire à ne pas avoir d’autres solutions que de se loger au camping ou dans leur voiture, et des entreprises à partir en raison du manque de logements pour leurs salariés.
Cette loi vise particulièrement les logements de tourisme type Airbnb qui sont en fait des résidences secondaires mises en location pour de courtes durées alors que de nombreux locataires peinent à trouver leur résidence principale pour se loger, en particulier dans les régions très touristiques.
Le texte qui a été voté, dont l’objectif est de rétablir un équilibre entre l’offre de ces différents types de logement, permet aux maires des communes concernées de mettre en œuvre des mesures pour limiter le développement des logements de tourisme. Il s’agit plus précisément d’une possibilité qui est accordée aux communes qui comptent plus de 20 % de résidences secondaires ou à celles qui appliquent la taxe annuelle sur les logements vacants.
Les maires disposent ainsi par exemple de la faculté de délimiter un secteur de leur commune où les logements ne peuvent être que des résidences principales. Une mesure qui concerne néanmoins seulement les logements neufs encore non construits, et qui nécessite pour les collectivités de modifier leur Plan Local d’Urbanisme (PLU).
Les nouvelles constructions doivent alors remplir certaines conditions : être occupées au moins pendant 8 mois par an en tant que résidence principale, et les documents en lien avec ces logements (acte de vente, contrat de location, documents pour la revente, etc.) doivent obligatoirement mentionner cette condition au risque de ne pas être considérés comme valides juridiquement.
De la même manière, les maires peuvent aujourd’hui limiter à 90 jours par an, au lieu de 120 jours, la durée maximum pendant laquelle les résidences principales peuvent être louées pour des courtes durées en tant que meublés de tourisme.
Cette loi instaure également une autre mesure : l’enregistrement obligatoire des meublés de tourisme auprès des communes, comme cela existe déjà dans les grandes villes. À défaut, les propriétaires concernés risquent une amende pouvant aller jusqu’à 20 000 €. Cette mesure doit être appliquée au plus tard le 20 mai 2026.
Dans le but de limiter ce type de locations de courte durée, la loi prévoit aussi la généralisation de l’obligation de fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE), ce qui a pour conséquence pour les propriétaires de ne plus pouvoir louer leur bien si le DPE est classé E, une mesure déjà appliquée aux locations de longue durée.
D’autre part, la loi s’intéresse à la fiscalité des meublés de tourisme jusque-là plus intéressante et considérée comme exagérée que celle des locations classiques. Les avantages fiscaux jusqu’ici possibles sont ainsi limités avec donc un effet sur le montant de l’impôt qui va augmenter.
À noter : les copropriétés sont également concernées par la loi Le Meur/Echaniz qui peut leur permettre de modifier leur règlement à la majorité des copropriétaires représentant au moins les deux tiers des voix (aujourd’hui l’unanimité est requise) pour interdire la location d'appartements en meublés de tourisme.
La loi destinée à réguler les résidences secondaires en pratique
En France, près d’un million de meublés de tourisme ont pris la place de logements classiques en quelques années, avec pour conséquence, comme le font remarquer des élus locaux, que des villages entiers se sont vidés et se sont transformés en véritables villages de vacances.
Le manque de logements occupés pour une longue durée touche ainsi de très nombreuses villes, des plus grandes à d’autres plus petites : Paris, Marseille, Bordeaux, Rennes, Biarritz, Bayonne, Saint-Malo, Paimpol, Saint-Nazaire, Bourges, Orléans, Caen, Ajaccio, Annecy, Annemasse, etc.
Dans le but de limiter le nombre de résidences secondaires louées par leur propriétaire seulement pour de courtes durées alors que de nombreux territoires connaissent un manque cruel de logements disponibles pour des locations longue durée, la loi votée en novembre 2024 est déjà appliquée concrètement dans de nombreux territoires. En voici quelques exemples.
Au Pays basque
Le Pays basque est particulièrement concerné par le manque de logements pour ses habitants alors que les résidences secondaires, qui servent souvent de meublés de tourisme, sont de plus en plus nombreuses.
Dans cette région, plusieurs communes ont décidé de se saisir des outils proposés par la loi Le Meur/Echaniz, dont l’un des coauteurs est basque, afin de réguler les résidences secondaires sur leur territoire.
La commune de Bidart a été la première à le faire dans le but que ses habitants puissent rester vivre et travailler dans leur région. La municipalité a ainsi instauré une zone sur son territoire, la Zone d'Aménagement Concertée (ZAC) Horizon “trois couronnes”, où désormais les nouvelles constructions ne pourront être que des résidences principales.
Une mesure que la Ville a pu mettre en place car son territoire compte plus de 20 % de résidences secondaires (31 % dans les faits) et il est soumis à la taxe sur les logements vacants.
D’autres communes du Pays basque comme Biarritz, Bayonne, Anglet et Boucau ont également entamé des démarches de ce type pour réguler les résidences secondaires.
Cancale
Cancale est la première villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia en Bretagne à se servir de la loi Le Meur/Echaniz pour réguler les résidences secondaires, plus précisément pour limiter la construction de nouvelles résidences secondaires.
Cancale vient ainsi de modifier son PLU dans ce but. Comme le propose la loi dont l’un des corapporteurs est la députée du Finistère Annaïg Le Meur, désormais les documents officiels en lien avec toute nouvelle construction devront faire apparaitre cette servitude, c’est-à-dire indiquer que le bien est voué à devenir une résidence principale et non secondaire, et qu’elle ne peut pas être louée pour une courte durée en tant que logement de tourisme.
Une mesure qui concerne uniquement les futures constructions de logements mais que la Ville compte bien appliquer lorsque des résidences secondaires seront vendues.
Chamonix
Bien connue comme villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia de villégiature et pour ses très nombreuses résidences secondaires luxueuses (environ 70 % du parc de logements de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia), Chamonix va proposer lors du prochain vote du PLU d’interdire toute nouvelle résidence secondaire sur sa commune.
Bonifacio
La Corse n’est pas en reste en matière de résidences secondaires. C’est pour cela que le maire de Bonifacio, où près de 6 logements sur 10 sont des résidences secondaires, a décidé de limiter leur développement sur la base de la loi votée en novembre 2024, plus précisément en faisant en sorte d’interdire ce statut aux nouvelles constructions.
https://lemagdelaconso.ouest-france.fr/article-105-loi-reguler-residences-secondaires-consequences.html