La France s'est massivement désindustrialisée depuis les années 1970 et le timide rebond observé ces dernières années demande à être consolidé. Pour cela, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO, un organisme indépendant rattaché à la Cour des comptes) s'est penché sur les impôts et cotisations sociales qui pèsent sur la production tricolore. Dans un rapport publié ce lundi, il recommande d'assurer davantage de stabilité fiscale aux entreprises, et même de poursuivre les baisses d'impôts entamées ces dernières années.
Certes, pour faire revenir des usines en France, « l'outil fiscal n'est pas le levier principal », concèdent les auteurs. L'accès aux terrains à bâtir, la qualité des réseaux de transport, le coût de l'énergie ou la qualification de la main-d'oeuvre sont autant de critères majeurs. Mais « le cadre fiscal n'en demeure pas moins très important », écrit le CPO et « sa prévisibilité et sa crédibilité conditionnent la dynamique de réindustrialisation ».
Impôts mouvants
De ce point de vue, la France est une assez mauvaise élève : la loi fiscale varie souvent, et les engagements pris sur la durée sont peu respectés. Ainsi, la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, un impôt qui pèse sur la production) qui devait initialement avoir lieu en 2024 a été décalée à 2027, puis à 2030.
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Autre exemple : l'impôt sur les sociétés (IS), dont le taux a certes été abaissé de 33,33 % à 25 % depuis 2016 pour le rapprocher de la moyenne des pays développés. Mais d'une part ce taux est historiquement volatil - sa plus longue période de stabilité a été de quatre ans depuis l'an 2000 - contre seize ans en Allemagne ou vingt ans en Pologne. Et surtout, en 2025, une « contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises » est venue s'y ajouter, faisant passer temporairement ce taux au-dessus de 30 % pour les groupes réalisant plus de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires (plus de 35 % au-delà de 3 milliards).
Les discussions vont bon train pour savoir si cette surtaxe sera reconduite en 2026. « Malgré une forte mobilisation de l'outil fiscal depuis la fin des années 2000 pour soutenir la réindustrialisation, l'absence de financement des baisses d'impôts réalisées et la difficulté à mettre en oeuvre l'ensemble des annonces faites peuvent conduire les entreprises, notamment industrielles, à une attitude de prudence », regrette le CPO.
Non à la surtaxe
La première recommandation du rapport est de mettre fin à cette inconstance, en fixant un cap fiscal sur plusieurs années. Le CPO préconise d'inscrire l'évolution sur cinq ans des grandes catégories d'impôts et de cotisations dans la prochaine loi de programmation des finances publiques (LPFP) en 2027. « Cette visibilité sur la trajectoire fiscale à moyen terme serait très favorable, en particulier, au secteur industriel, plus intensif en capital, et plus exposé sujet à des cycles longs d'investissement », estime le rapport.
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Le rapport recommande aussi de ne pas reconduire la « contribution exceptionnelle des grandes entreprises » au-delà de 2025. Pour le CPO, rien ne sert d'avoir ramené le taux normal d'IS à 25 % si c'est pour y ajouter une surtaxe. Le coût de cette non-reconduction - 8 milliards d'euros - est élevé, reconnaît le rapport. Pour ne pas dégrader les comptes, il faudra les économiser ailleurs.
Le CPO donne deux pistes pour trouver un premier milliard. D'abord raboter la niche fiscale du crédit impôt recherche, en appréciant les plafonds de dépenses éligibles au niveau du groupe consolidé. Ensuite mettre fin aux niches fiscales et sociales relevant des « régimes zonés » hors outre-mer (zones de développement prioritaire, zones franches urbaines, France ruralité revitalisation…). Mais ce sera loin de suffire.
Baisser les impôts de production
La deuxième série de recommandations du CPO, encore plus explosive, consiste à poursuivre les baisses d'impôts de production chères à Emmanuel Macron. Plutôt que de supprimer intégralement la CVAE comme prévu par l'exécutif, le rapport préconise de supprimer une autre taxe, la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés). Le coût de la mesure serait un peu plus élevé (5,4 milliards d'euros pour la C3S, contre 4 milliards pour la CVAE), mais ce deuxième impôt est jugé plus pénalisant pour l'industrie car il pèse sur le chiffre d'affaires et a des « effets en cascade » à chaque transaction.
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Pour financer ce nouveau volet de la politique de l'offre, le rapport suggère de supprimer les avantages fiscaux et sociaux des heures supplémentaires (exonérations de cotisations sociales - patronales et salariales - et exonération d'impôt sur le revenu jusqu'à 7.500 euros), jugés coûteux et inefficaces. Selon le CPO, cela compenserait intégralement la suppression de la C3S et pourrait rapporter jusqu'à 1 milliard d'euros à l'industrie française (4 milliards à l'ensemble des entreprises).
Un tel troc paraît improbable dans la situation politique actuelle, où les socialistes tentent d'arracher à Sébastien Lecornu un virage sur la politique de l'offre et des gestes en faveur du pouvoir d'achat.