Pneus crevés, vue cachée… Sept fois où les locaux ont agi par eux-mêmes face au fléau du surtourisme
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Mercredi 13 août 2025
Tourisme
Des touristes admirent le lac Carezza, dans les Dolomites en Italie, le 25 juillet 2025. (Photo : Jean ISENMANN / ONLY WORLD / Only France via AFP)
Actualité
Par Arnaud FISCHER.
Pour lutter contre le surtourisme, certains habitants décident de ne pas attendre une réaction des autorités locales et passent eux-mêmes à l’action. À Venise, Majorque ou Barcelone, les locaux ne manquent pas de créativité pour faire comprendre aux touristes qu’ils ne sont plus les bienvenus.
On gagne toujours à passer à l’action. Face aux nombreuses problématiques que représente le surtourisme, plusieurs villes prennent des mesures, parfois drastiques, pour limiter le flux et réduire les conséquences que cela peut avoir pour les habitants, le patrimoine et l’environnement. La Thaïlande a fermé une plage pendant quatre ans, Marseille a instauré un quota pour visiter les Calanques et Barcelone a augmenté la taxe touristique pour les clients des hôtels cinq étoiles.
Mais parfois, ces mesures ne suffisent pas et les touristes continuent d’affluer en nombre, provoquant la colère des habitants qui sont aux premiers rangs de ces marées humaines. Alors pour faire changer les choses, certains décident de passer à l’action eux-mêmes. De Venise à Majorque en passant par Mexico ou Hawaï, voici sept cas dans lesquels les locaux ont tenté de refouler les touristes sans passer par les autorités locales.
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1. Occupation de plages aux Baléares (Espagne)
Depuis 2023, la situation est de plus en plus tendue entre les habitants des îles des Baléares (Majorque, Minorque, Ibiza, Formentera), en Espagne, et les touristes. Le contexte : une explosion du prix des loyers à cause des locations touristiques et un ras-le-bol de voir leurs rues saturées l’été. Beaucoup d’habitants se sont vus contraints de quitter leur logement pour laisser place à des locations saisonnières très lucratives.
Les Baléares comptent environ 1 200 000 habitants à l’année mais chaque été, les quatre îles reçoivent la visite de plusieurs millions de touristes (18 000 000 en 2024). Alors les habitants insulaires sont passés à l’action. En 2023 et 2024, de grandes manifestations ont eu lieu dans les rues de Palma et d’Ibiza, rassemblant parfois plusieurs milliers de personnes brandissant des banderoles « Tourists go home » et « Nos îles ne sont pas à vendre ».
En parallèle des marches officielles, certains groupes plus radicaux ont mené des actions directes : occupation de plages dès l’aube pour empêcher les touristes d’installer leurs serviettes, collage d’affiches satiriques imitant des cartes postales mais avec des messages d’expulsion, et interventions surprises devant des hôtels pour distribuer des tracts dénonçant la « privatisation » de l’île par le tourisme de masse.
2. Des pneus de vélos touristiques crevés à Barcelone (Espagne)
Barcelone est devenue un symbole européen de la « fatigue du tourisme ». Selon le quotidien espagnol El Pais , la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia a accueilli 15,5 millions de visiteurs en 2024 alors que 1,6 million d’habitants y vivent à l’année, soit dix fois moins. Les quartiers historiques comme le Barri Gòtic et la Barceloneta sont saturés, les loyers ont flambé et la vie nocturne dérange les riverains.
En 2017, le groupe militant Arran, lié à la gauche indépendantiste catalane, a frappé fort, basculant même dans l’illégalité. Ils ont « crevé les pneus de vélos de location », attaqué des touristes en leur lançant des confettis, se sont invités à bord des yachts et ont déployé des banderoles comme « Touriste, rentre chez toi ! Le tourisme tue les quartiers », rappelle le site France Info . Ces actions, très médiatisées, visaient à provoquer un débat sur le modèle économique de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia et sur l’impact de plateformes comme Airbnb.
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3. Bloquer l’accès aux quais à Venise (Italie)
Venise subit un tourisme de croisière massif, avec parfois jusqu’à 30 000 passagers débarquant en une journée. Les habitants, regroupés dans des collectifs comme No Grandi Navi, ont mené de multiples actions spectaculaires. En 2019, ils ont bloqué l’accès aux quais de débarquement, forçant les navires à ralentir ou à changer de parcours, comme le raconte le site Toute la culture . Sur l’eau, des dizaines de petites embarcations locales comme des gondoles, des bateaux à moteur ou des kayaks se sont mises en travers de la route des paquebots dans des manifestations flottantes impressionnantes.
Manifestation flottante du groupe No Grandi Navi en 2021. (Photo : Marco Sabadin / AFP)
Ces opérations visaient à dénoncer les dommages environnementaux et architecturaux causés par les vagues des gros navires, ainsi que la transformation de Venise en décor de tourisme instantané, où la majorité des visiteurs ne restent que quelques heures. Les images des habitants encerclant des mastodontes flottants ont fait le tour du monde.
4. Installer des tourniquets dans les Dolomites (Italie)
En Italie, dans la région des Dolomites, dans le nord du pays, les agriculteurs ne tolèrent plus les centaines de milliers de touristes qui défilent sur leurs propriétés pour prendre des photos de cette chaîne de montagnes. Les incivilités sont nombreuses, ce qui a récemment poussé les agriculteurs à installer des tourniquets pour accéder aux sentiers convoités. Prix d’entrée : 5 €.
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Les propriétaires regrettent un manque de réaction des autorités locales. Comme l’expliquait l’édition du soir dans un article du 4 août 2025, l’office du tourisme de Santa Cristina a annoncé avoir engagé des gardes forestiers pour s’assurer que les touristes « respectent les sentiers » et « ne dérangent pas les prairies ». Mais pour les agriculteurs des Dolomites, ça n’est toujours pas suffisant. À voir jusqu’où ils iront pour endiguer le flux de touristes.
5. Installation d’un panneau pour gâcher la vue à Hallstatt (Autriche)
Ce petit village de 800 habitants est devenu mondialement célèbre après avoir été présenté comme « le plus beau du monde » sur Instagram et dans une série coréenne. Mais ça n’est pas tout. « Il aurait aussi inspiré le film La Reine des neiges de Disney », précise Euronews . Résultat : jusqu’à 10 000 visiteurs par jour en haute saison et plus d’un million par an, arrivant souvent en bus juste pour prendre une photo. Face à cette invasion, les habitants ont organisé des blocages de routes pour empêcher les bus touristiques d’entrer dans le centre.
Les habitants du village d’Hallstatt, en Autriche, ont installé un panneau de bois pour obstruer la vue et empêcher les milliers de touristes de prendre des photos. (Photo : Reinhard Hormandinger / AFP)
En 2023, ils sont allés encore plus loin : un grand panneau a été installé pour masquer la vue panoramique la plus photographiée, comme une provocation contre la consommation d’images sans intérêt pour la vie locale. Les habitants espéraient ainsi dissuader les visites éclair et inciter à un tourisme plus respectueux.
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6. Magasins dégradés à Mexico (Mexique)
Le 4 juillet 2025, une manifestation contre la gentrification et le tourisme de masse a éclaté dans les quartiers de Condesa et Roma dans la capitale Mexico. Des centaines de résidents se sont rassemblées pour dénoncer l’augmentation des loyers, l’influence des nomades numériques américains et la transformation de leurs quartiers en destinations touristiques. La manifestation a débuté pacifiquement au Parque México, mais a dégénéré en violences. « Un groupe de manifestants, le visage couvert, a pillé des commerces, endommagé du mobilier urbain et même allumé des incendies », retrace le média spécialisé dans le tourisme laQuotidienne.fr . Des slogans tels que « Fuera gringos » (« Dehors les Américains ») ont été scandés, et des effigies ont été brûlées.
Cette situation reflète une frustration croissante face à la gentrification accélérée, alimentée par la hausse des locations de courte durée via des plateformes comme Airbnb. Depuis 2020, « plus de 26 000 logements ont été répertoriés sur ces plateformes », rappelle Le Monde , ce qui a entraîné une hausse estimée de 47 % des loyers dans certains quartiers. Les autorités locales ont réagi en limitant la durée des locations à six mois par an, mais ces mesures n’ont pas suffi à apaiser les tensions.
7. Camper sur les routes à Hawaï (États-Unis)
À Hawaï, le tourisme de masse met une forte pression sur les plages, les sites naturels et les lieux sacrés de la culture autochtone. En 2019 déjà, puis à nouveau entre 2021 et 2023, des habitants et militants hawaïens ont bloqué physiquement l’accès au Mauna Kea, montagne considérée comme sacrée, pour empêcher la construction d’un télescope géant et limiter l’intrusion touristique.
im speechless 💔 incredible video of hawaiians on the ground protecting mauna kea by matt yamashita, filmmaker from moloka'i (https://t.co/eItNz0gJ63) pic.twitter.com/uRKYIk3vdA
— kēhau (@yourfriendkehau) July 19, 2019
Les blocages prenaient la forme de lignes humaines et de campements permanents sur les routes d’accès, parfois pendant plusieurs semaines. Ces actions ont été très relayées sur les réseaux sociaux et ont relancé le débat sur le droit des communautés locales à décider de l’usage de leurs terres face aux intérêts économiques liés au tourisme.
Selon les Kanaka Maoli, un télescope de plus reviendrait à « désacraliser le site ». Radio Canada rappelle que le Mauna Kea est, dans la légende, « la représentation de Wākea, le dieu du ciel ». D’ailleurs, certains ancêtres des autochtones hawaïens sont inhumés sur la montagne et des cérémonies sont encore pratiquées aujourd’hui.