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À la campagne, les néoruraux veulent faire taire les cloches et les coqs
CHRONIQUE CHAMPÊTRE. Malgré la loi visant à protéger le « patrimoine sensoriel » des campagnes, les litiges sur les sons ou les odeurs perdurent entre agriculteurs et riverains.
Par Jean-Paul Pelras
Publié le 26/08/2025 à 06:30
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La semaine dernière, c'était en Haute-Saône, quelques jours plus tôt en Auvergne, dans les Pyrénées, en Bretagne, en Normandie, en Savoie, dans le Jura… Et un peu partout, finalement, où les vaches ont la mauvaise idée de paître avec une cloche autour du cou. Le phénomène est récurrent. Il s'impose désormais dans nos campagnes et oppose le paysan à celui qui, venu s'installer en périphérie des fermes, ne supporte pas les sonnailles.
Les voici donc, débarquant par dizaines depuis quelques années dans nos petits villages, où ils viennent « se ressourcer ». Par amour de la vieille pierre, à cause du calme, du bon air ou parce qu'ils ont hérité de la ferme du pépé, ils ont choisi de s'installer dans ce hameau. Celui où, une fois par an, ils ramassaient, enfants, les têtards dans le lavoir et passaient la paille au cul des grillons quand arrivait le temps des moissons. Ils ont une conception de la campagne calibrée et formatée selon leurs exigences.
Avec des critères bien précis qui excluent la mouche, la cloche, la bouse, le chant des grenouilles, celui du coq, le tracteur, les pratiques agricoles et la présence du troupeau sur la petite route départementale. Déplacement traditionnel et probablement multiséculaire considéré comme étant une entrave à la circulation par ceux qui poirotent à longueur de vie dans les volutes, l'exaspération et le vacarme de quelques embouteillages lutéciens. Bobos, souvent plus bourgeois que bohèmes, toujours prompts à dénoncer la discrimination et à prôner la tolérance, dès leur arrivée ils s'empressent d'adhérer aux petites associations locales pour montrer qu'ils savent s'intégrer.
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Et pourtant, après avoir fait rehausser le mur qui entoure la propriété, installé leurs digicodes, fait pisser leurs labradors dans le champ du voisin en oubliant de refermer l'enclos, ils érigent les dogmes qui contestent les usages locaux.
Quand les néoruraux imposent leurs règles
Soi-disant bardés de diplômes qui leur ont permis d'en arriver là sans que l'on sache vraiment d'où ils sont partis, ces néovenus, après avoir parcouru le monde et goûté à l'exotisme des cultures indigènes, jettent leur dévolu sur ces coins de campagne retranchés où l'autochtone demeure sympathique tant qu'il vous laisse une douzaine d'œufs, une caisse de fruits, un litre de lait et un panier de champignons sur le palier. En revanche, dès qu'il fait démarrer le tracteur, les relations se gâtent, à cause du bruit, de la fumée, de la terre qu'il laisse sur le chemin ou du purin qui tombe de la tonne à lisier.
Les voici donc qui préfèrent le « dialogue des civilisations » aux conversations du bistrot du coin, qui ont forcément un avis sur cette curiosité ethnologique que constitue la paysannerie française, qui savent mieux que lui ce que l'agriculteur doit faire, qui connaissent, sans jamais les avoir pratiquées, toutes les nuances de son modus vivendi. Oui, les voilà qui viennent dicter leurs règles parce qu'ils payent une taxe foncière, parce qu'ils contribuent soi-disant à endiguer l'exode rural, parce qu'ils ont donné trois sous pour retaper le vieux presbytère ou, tout simplement, car ils siègent désormais au conseil municipal.
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Et pourtant, ne savaient-ils pas, lorsqu'ils sont arrivés, que la cloche, la vache, le paysan cohabitaient ici depuis toujours dans ces vallées et sur ces versants escarpés ? Là où, les jours de brouillard, entre bois et guérets, dans l'étoupe des lointains, il faut pouvoir repérer et identifier, le cas échéant au milieu des genêts, la vache qui s'est égarée. Une tradition qui n'a rien de folklorique et qui permet en mélangeant, au sein du troupeau, les tailles, les formes et les alliages, de reconnaître chaque animal au son de la cloche qu'il porte. Un son qui doit être un peu sourd. S'il est trop clair, on ne le distingue plus de loin. Il faut aussi savoir que les veaux repèrent parfois leurs mères grâce aux sonnailles.
Celui qui se plaint ne sait certainement pas qu'il a affaire ici à une symphonie pastorale, à la signature musicale d'un troupeau qui désigne la hiérarchie avec la taille des cloches et des clarines, qui permet même parfois d'identifier la ferme et le village d'où les vaches proviennent. Loin, bien loin du vacarme des villes, de leurs rodéos urbains, de la circulation. Cette circulation qui dérange peut-être les agriculteurs lorsqu'ils vont à Paris, à Marseille, à Lille, à Lyon. Seulement voilà, ils n'en parlent pas, ils s'adaptent. Peut-être tout simplement, car ils respectent les rythmes et les usages. Car ils font preuve, allez savoir, d'une certaine éducation.