« Les professeurs sont l’ennemi » | Le blogue de Richard Hétu

https://richardhetu.com/2021/11/04/les-professeurs-sont-lennemi/


https://www.facebook.com/share/1VghEqU6sV/

Les professeurs sont l’ennemi. Décryptage de la pensée de J.D. Vance contre l’enseignement supérieur

Qui est ce fameux Vance? J’ai voulu creuser. Au hasard de mes recherches je suis tombé sur une vidéo ahurissante. Elle date de 2021. Mais elle nous éclaire fort bien sur ce qui se passe aujourd’hui.

Dans cette vidéo, reprenant sa participation à un congrès réactionnaire, quatre ans avant la deuxième victoire de Trump aux présidentielles, il condense déjà toute sa pensée mêlant une haine pour les idées de progrès, un rejet de toute critique, la manipulation par des mots.

Et pour illustrer mon propos, j’ai choisi une de ses citation. Une phrase qui claque comme une porte, violemment refermée. Il est vrai que les déclarations n’ont pas besoin d’être longues pour être bruyantes. Celle de J.D. Vance, prononcée lors de la National Conservatism Conference de novembre de cette même année 2021, entre tout à fait dans cette catégorie :
« Les professeurs sont l’ennemi. »

Les profs ennemis? J’ai bien compris? Oui. Pas « une erreur ». Pas « un problème ». Non. L’ennemi.
Et ce n’est pas une sortie de route isolée. C’est le couronnement, ou disons l’aboutissement logique, d’un discours d’une trentaine de minutes qui vise un objectif très clair : abattre la légitimité des universités.

Tout commençait sur le ton de la confidence. Vance, diplômé de Yale Law School, une école prestigieuse — et l’air de s’en excuser — raconte avoir été choqué par l’évolution de son alma mater. Il y serait retourné pour une conférence, et là, stupeur :

« Ça ressemblait à un endroit totalitaire. »

Une ambiance où, nous dit-il, les étudiants conservateurs vivent dans la terreur permanente : peur de parler, peur d’être ostracisés, peur d’être mal notés. On imagine des regards traqués, des discussions chuchotées à l’abri des distributeurs de soda. Yale, laboratoire du stalinisme académique. Rien que ça.

Puis le ton se durcit. Le cœur du discours : les universités ne produisent plus la vérité, elles produisent le mensonge.

« Nous vivons dans un monde fabriqué par la connaissance universitaire », déclare Vance. Et selon lui, ce monde est fondé sur une imposture généralisée.

Il enchaîne les exemples : un professeur mis au pilori pour avoir publié un article sur l’utilisation d’algorithmes dans la prédiction scientifique ; des chercheurs qui auraient menti sur les effets des transitions de genre ; des responsables de santé publique qui auraient autorisé les manifestations antiracistes tout en interdisant les réunions anti-confinement. Chaque exemple est construit comme une démonstration que l’université — avec ses diplômes, ses revues, ses validations — n’est plus un lieu de savoir mais un outil de propagande. L’antre du diable.

Et comme souvent chez les néoconservateurs, l’ironie est à double détente : ce serait justement au nom de la science, de la vérité, de la justice, que le mensonge est le plus solidement implanté. On retrouve ici un glissement rhétorique familier : ce ne sont plus les adversaires politiques qu’on critique, mais le principe même de la vérité telle qu’elle est construite socialement.

Vous imaginez la suite, il utilise un fond de vérité, comme une amorce pour attraper le poisson, puis il balance des horreurs.

Vance déroule donc un récit. Dans ce récit, les institutions sont truquées. Les jeunes sont endoctrinés. L’ascension sociale est un leurre. Et le pire, c’est que nous cautionnons tout cela, ajoute-t-il :

« Nous renforçons tous, à notre manière, le pouvoir des universités à contrôler nos vies. »

Et alors, selon lui, que faire? Un donateur lui aurait un jour demandé :

« Mais quelle est l’alternative ? Je ne veux quand même pas que mon fils devienne installateur de climatisation… »
Ce à quoi Vance répond, en substance : si on continue à croire que l’université est la seule voie vers une vie décente, alors on perpétue le système qui détruit nos valeurs.

Et c’est là que ça devient grave. Parce que ce n’est pas seulement une critique. C’est un appel à la sécession culturelle. Vance ne dit pas qu’il faut réformer l’université. Il ne dit pas qu’il faut l’équilibrer. Il dit, clairement, qu’il faut en sortir. Créer d’autres institutions. D’autres écoles. D’autres circuits de légitimité. Et, in fine, d’autres vérités.

On pourrait croire à un simple discours électoraliste, une manière de flatter une base conservatrice échaudée par les débats sur les campus. Mais le sous-texte est bien plus profond — et plus inquiétant. En filigrane, on sent la patte du Dark Enlightenment, ce courant néoréactionnaire influencé par Curtis Yarvin, popularisé dans la Silicon Valley, et auquel Peter Thiel (le mentor de Vance, soit dit en passant) a prêté plus qu’une oreille.

Comme chez Yarvin ( idéologue de l’ultra droite), le discours de Vance repose sur quelques piliers bien identifiables :
• La démocratie ne fonctionne plus.
• Les institutions sont irréformables.
• La vérité officielle est une fiction.
• Il faut construire un monde alternatif.

S’il ne cite pas explicitement ces théoriciens, le parallèle est frappant. L’université est décrite comme une structure religieuse — non pas une Église de la vérité, mais une secte.

Et c’est bien là l’ambition implicite : réduire l’image des Universités, foyers de résistance, de raisonnement, à celle d’une secte progressiste. Il veut donc remplacer une église par une autre. Une vérité par une autre. Un clergé par un autre.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la critique de ce qu’il considère comme un excès idéologique sur les campus. C’est la destruction méthodique de la liberté académique au nom d’une restauration morale. C’est le soupçon jeté sur toute forme d’enseignement qui ne confirme pas les intuitions conservatrices. C’est l’idée que le savoir n’est plus qu’un champ de bataille, et qu’il faut gagner cette guerre par la disqualification de l’adversaire.

Et ce discours ne se contente pas de rester aux États-Unis. Il circule. Il inspire. Il pose les bases d’un modèle alternatif où l’on décide a priori ce qui peut être recherché, ce qui peut être enseigné, ce qui peut être financé.

L’Union européenne — et tout pays attaché à la liberté académique — devrait y être attentif. Parce que ce qui se joue ici, c’est plus qu’un débat idéologique. C’est la mise en accusation d’un modèle fondé sur l’ouverture, la recherche, le doute, le débat. Et ce modèle est en train d’être lentement sapé, au nom de la pureté, de la sécurité morale, et d’un ordre supposé naturel.

Richard Nixon, que Vance cite en fin de discours comme prophète visionnaire, disait :

« Les professeurs sont l’ennemi. »

Il reprend la phrase à son compte.

Ce qui est peut-être encore plus troublant aujourd’hui, c’est que des responsables politiques comme J.D. Vance ne se contentent plus de critiquer l’université : ils veulent en finir avec elle.

Rudy,

Ma phrase signature:
« Parce qu’il n’y a pas d’avenir sans conscience du présent. »