https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/ce-qui-menace-vraiment-la-democratie-2169793
La démocratie est en péril. Aux Etats-Unis, elle semble parfois ne plus tenir qu'à un fil. L'autoritarisme gagne du terrain dans de nombreux pays. Le nombre de démocraties libérales diminue depuis une décennie tandis que la proportion de pays en autocratie dépasse désormais 50 %, à en croire le comptage établi chaque année par les experts du think tank V-Dem.
D'où vient ce déclin ? La démocratie est en réalité perdue dans un triangle des Bermudes. Trois chercheurs, Tim Besley de la London School of Economics, Chris Dann de l'université californienne de Stanford et Sacha Dray de la Banque mondiale, le mettent en évidence dans un travail passionnant (1).
Paradoxe de la confiance
Dans ce triangle, il y a la démocratie elle-même, la confiance et la croissance. En travaillant sur des enquêtes menées auprès de trois millions de personnes dans 160 pays depuis plus de trente ans, les chercheurs dégagent deux constats frappants.
Lire aussi :
CHRONIQUE - Jacques Attali : « Le programme ? On s'en moque »
D'abord un « paradoxe de la confiance ». Selon leurs calculs, « les pays les plus riches et les plus démocratiques tendent à avoir une plus faible confiance dans le gouvernement ». La Chine, le Rwanda et l'Ouzbékistan sont mieux placés que le Danemark, la France ou les Etats-Unis.
Les exemples de la Grèce et du Venezuela
Ces pays n'ayant pas le même dynamisme économique, le trio d'économistes en est venu à un second résultat : « La confiance dans le gouvernement est positivement corrélée avec la croissance du PIB ». C'est visible aujourd'hui dans des pays comme le Vietnam ou le Rwanda, et ça l'a été dans l'Europe d'après-guerre en plein boom ou au moment du décollage des Dragons d'Asie, dans les années 1970-1980.
Lire aussi :
CHRONIQUE - Dominique Moïsi : De la peur en Amérique
TRIBUNE - La démocratie libérale en danger
Symétriquement, « les habitants des pays qui ont expérimenté une récession durable ont réduit leur confiance dans le gouvernement de quinze points. » Les exemples de la Grèce et du Venezuela sont éloquents. La confiance entre individus, elle, n'est pas affectée par les cycles économiques.
Peur du régime
Le trio d'économistes a vérifié qu'il y avait bien une causalité dans la corrélation. Dans un pays, le gouvernement devient plus apprécié quand les habitants ont vécu avec une forte progression de l'activité qui se répercute sur leur niveau de vie, en particulier au cours des années qui précèdent les enquêtes.
Ce lien est visible dans les dictatures, permettant de supposer que les réponses ne sont pas (ou pas seulement) conditionnées par la peur du régime. Et il est plus fort dans les démocraties, ce qui montre que leurs populations attribuent davantage de bons résultats à leurs gouvernements.
Risque de cercle vicieux
Comment alors expliquer le paradoxe de la confiance ? Besley, Dann et Dray sont ici plus prudents. Ils citent des travaux qui montrent que « les institutions démocratiques encouragent davantage les jugements critiques et une forme de scepticisme des citoyens envers les performances du gouvernement ».
Le danger est particulièrement fort quand les pays 'veulent mettre en oeuvre une stratégie de croissance fondée sur une transition verte'.
tim besley, chris dann, sacha dray, économistes universitaires
La dépendance de la confiance à la croissance pose un terrible défi en Europe. Dans leur conclusion, les chercheurs avertissent d'un risque qui fait furieusement penser à ce qui se passe en France : « Non seulement une croissance faible a des effets économiques directs, comme des tensions budgétaires et des créations d'emploi amoindries, mais elle pourrait aussi saper la confiance de la population et mener ainsi à un cercle vicieux : une faible croissance engendre une faible confiance dans le gouvernement qui a en conséquence plus de mal à obtenir l'adhésion de la population à des politiques soutenant la croissance. »
Une révolution et une guerre
Et les auteurs de finir en expliquant que le danger est particulièrement fort quand les pays « veulent mettre en oeuvre une stratégie de croissance fondée sur une transition verte où les entreprises et les consommateurs basculent vers des modes de vie plus soutenables. » Les versions extrêmes de cette stratégie, qui passent par la décroissance, risquent de détruire les fondements de la démocratie.
La France a déjà connu de telles impasses, où des institutions inadaptées à un monde qui change finissent par bloquer le pays. Il y a deux siècles et demi, il a fallu une révolution pour en sortir. Il y a un peu moins d'un siècle, il a fallu une guerre. Nous devons pouvoir mieux faire.
(1) 'Growth Experiences and Trust in Government', par Tim Besley, Chris Dann et Sacha Dray, Discussion Paper n°20062, CEPR, mars 2025.
Abonnez-vous à la newsletter PREMIUM DE JEAN-MARC VITTORI
Vous aimez ses articles ? Si vous êtes abonné ou abonnée Premium aux « Echos », abonnez-vous à sa newsletter qui paraît chaque vendredi ! > S'inscrire