VÉRIF' - Risque de récidive : Manuel Bompard piégé par un site internet au contenu généré par IA

Au cours d'une interview sur TF1 cette semaine, le député LFI Manuel Bompard a évoqué plusieurs chiffres relatifs à la récidive.
Il a notamment relayé un chiffre trompeur, issu à l'origine d'un site peu fiable dont les contenus sont générés par IA.
Une plateforme qui fait partie d'un vaste réseau de sites prétendument spécialisés dans les questions juridiques.
La suppression du sursis, au profit de peines minimales ? Une proposition formulée par Gérald Darmanin et contre laquelle s'est élevée le député LFI Manuel Bompard. Invité sur TF1, mercredi 4 juin, il a avancé des chiffres relatifs à la récidive. Des données qui justifient à ses yeux de préserver la possibilité pour les magistrats de privilégier des peines avec sursis. “Selon les propres chiffres du ministère de la Justice, quand il y a une peine de prison ferme, vous avez à peu près 60% de récidive, ça tombe à 34% quand vous avez une peine avec sursis”, a lancé l'élu.
Si les données relatives à la récidive après de la prison ferme sont fiables et issues de rapports récents, le pourcentage correspondant aux peines avec sursis pose un problème. Il provient en effet d'un site internet spécialisé dans les questions juridiques, mais dont le contenu est largement produit par des IA. Une plateforme qui relaie des éléments trompeurs, voire totalement inventés.
Michel Martin, l'auteur fantôme
Sollicité par Franceinfo (nouvelle fenêtre), qui ne parvenait pas à identifier l'origine des 34% mis en avant, Manuel Bompard a partagé sa source et envoyé aux journalistes la capture d'écran d'un site juridique. Celui-ci se nomme “juridique-enligne.fr”, et héberge un article qui contient le passage suivant : “Les données statistiques concernant l’efficacité du sursis partiel en termes de prévention de la récidive sont encourageantes. Une étude longitudinale menée par le ministère de la Justice sur la période 2015-2020 a comparé les taux de récidive sur cinq ans selon différentes modalités d’exécution des peines : emprisonnement ferme : taux de récidive de 59% ; sursis partiel : taux de récidive de 41% ; sursis total avec mise à l’épreuve : taux de récidive de 35%”.
Le hic ? Nous ne retrouvons aucune trace de la fameuse “étude longitudinale menée par le ministère de la Justice” dont il est ici fait mention. De quoi douter de la fiabilité du site, d'autant que plusieurs éléments très suspects peuvent rapidement être identifiés. Tout d'abord, on constate que le site ne propose ni page de contact, ni mentions légales. Ces dernières sont pourtant obligatoires. Les illustrations d'une grande partie des “articles” sont par ailleurs générées par des IA, une pratique très peu répandue dans le secteur de la presse en ligne et qui pose des questions déontologiques.
Bon nombre des illustrations sur ce site sont le fruit d'IA génératives. - Capture écran “juridique-enligne.fr”
Ce n'est pas tout : en parcourant les publications de ce site, on découvre qu'elles sont à 100% signées d'un seul et même auteur, un certain “Michel Martin”. Un combo prénom/nom particulièrement commun en France et qui peut suggérer qu'il s'agit d'un nom d'emprunt. Aucune information ni photo n'est disponible à son sujet, cliquer sur son nom ne nous permettant pas d'en apprendre davantage. Les jours de publication peuvent par ailleurs surprendre, puisque des contenus sont partagés tout autant en semaine que le week-end ou certains jours fériés (on en retrouve le 25 décembre). Si plusieurs jours peuvent s'écouler sans que de nouveaux articles soient mis en ligne, certains sont parfois rédigés par salves. Le 9 juillet 2024, pas moins de cinq contenus ont été signés par Michel Martin. Un volume là aussi très suspect.
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Quand on se penche sur le contenu en lui-même, ce sont d'autres éléments qui doivent nous alerter. On pense notamment à l'absence totale de liens hypertextes renvoyant vers des sites externes, pratique pourtant très commune sur les sites d'info traditionnels. La structure des articles, toujours très similaire, n'évoque pas le travail d'un humain, pas plus que la structure des phrases ou le style employé. Aucune figure de style, peu de comparaisons imagées… Lorsque des experts sont cités, nous tombons même dans une caricature : une publication de septembre dernier (nouvelle fenêtre) relative aux assurances auto donne la parole à quatre prétendus avocats, des professionnels dont les noms sont tout aussi communs que celui de l'auteur. On retrouve ainsi une Sophie Martin, s'exprimant aux côtés d'une Léa Dubois, d'un Pierre Durand et d'un Jean Dupont.
À cette somme d'éléments, on peut ajouter l'invention pure et simple d'une citation. Une phrase qui serait prétendument tirée d'un article du code pénal, mais qui s'en révèle absente lorsque l'on consulte le texte original. Il s'agit d'une multitude d'indices qui nous conduisent à une conclusion simple : ce site est alimenté par une IA, qu'il s'agisse des textes ou des images. Afin d'accréditer encore ces observations, TF1info a utilisé une série d'outils en ligne conçus pour détecter des écrits réalisés par des IA. Si la fiabilité de ces sites reste discutée et que les conclusions doivent être analysées avec prudence, l'ensemble de passages analysés ont été évalués comme tout ou partie rédigés via IA, quelle que soit la plateforme de détection à laquelle nous avons eu recours.
Un vaste réseau de sites juridiques alimentés par des IA
En enquêtant sur le très prolifique Michel Martin, nous avons découvert qu'il était signataire de centaines d'autres articles traitant de questions juridiques. Des publications hébergées non plus sur “juridique-enligne.fr”, mais par une galaxie d'autres sites dont l'apparence, la mise en page et les éléments suspects sont similaires. Nous en avons compté au moins dix, dénommés “juridiquepro”, “atelierjuridique”, “juridique-magazine”, mais aussi “juridique-planet” ou “monexpertjuridique”.
Un examen du code source nous apprend que chacune de ses plateformes a été conçue sur une base commune, le logiciel open source WordPress, dédié à la création de sites web. Il apparaît ainsi très vraisemblable que derrière cette galaxie de prétendus sites juridiques se cache un seul et même administrateur, à la baguette. Tout porte à croire que ces sites ont été développés en s'inspirant de la plateforme “actu-juridique.fr (nouvelle fenêtre)”. Fiable, alimentée par des journalistes ou des juristes, celle-ci fait partie des publications en ligne de référence pour quiconque souhaite s'informer sur les questions relatives au droit.
Une question reste en suspens : quel est l'objectif ces sites alimentés par l'IA, à commencer par celui cité par Manuel Bompard et qui est parvenu à l'induire en erreur ? L'hypothèse la plus évidente serait d'imaginer que le créateur de ce réseau cherche à générer un important trafic, afin de parvenir à le monétiser. Problème : aucune publicité n'est présente sur les différentes pages des sites. Impossible donc de convertir en euros l'audience ici générée.
Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur X : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.
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