Fermetures d'usine : la peur de la vague

https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/fermetures-dusine-la-peur-de-la-vague-2162119

50.000 euros. L'aide votée par la communauté de communes du Grésivaudan, aux portes de Grenoble (Isère), au projet de reprise du chimiste Vencorex par ses 350 salariés, quelques jours avant que la justice ne remette les clés au groupe chinois Wanhua, a des airs de symbole. Celui d'une mobilisation pour tenter de sauver une usine. Celui de l'union de 40 petites villes et villages, dont le plus connu est Chamrousse (moins de 500 habitants hors saison), pour préserver le tissu économique d'une région. Alors que la réindustrialisation est devenue un mantra national, chaque annonce de fermeture de site sonne comme une menace pour la santé des territoires.

Les chiffres ne rassurent pas : 119 fermetures de sites industriels pour 114 ouvertures en 2024, selon le Baromètre industriel de l'Etat publié en mars ; 42 menaces de fermetures contre 25 ouvertures, au premier trimestre 2025, selon un décompte de « L'Usine nouvelle ». « La succession des annonces un peu partout en France pose de sacrés problèmes sur le terrain », résume un élu local.

« Absence de stratégie »
Collectivités territoriales et agences de développement économique sont aux aguets. Leurs objectifs communs : attirer les porteurs de projets en quête de site et prévenir les crashs industriels. Le 5 juin prochain, par exemple, la paisible commune de Bourogne, dans le Territoire de Belfort, se retrouvera pendant une journée au coeur des enjeux économiques de sa région. Les entreprises de sous-traitance automobile de Bourgogne-Franche-Comté, malmenées depuis trois ans, à l'image de Benteler (400 salariés) ou de Marelli (125 salariés) dans l'Yonne, y retrouveront, sur le site du 1er Régiment d'artillerie, les responsables d'achats publics et privés de la défense.

Lire aussi :
PME en difficulté : plongée dans le quotidien des « urgentistes » de l'Etat

A un an des élections municipales, et alors que le nombre des défaillances d'entreprises tutoie celui de la crise de 2009 (68.000 sur douze mois glissants, selon les derniers chiffres d'Altares), la défense est l'un de ces marchés en plein essor sur lesquels les élus fondent leurs espoirs.

La restructuration de l'équipementier Amis, à Montluçon, dans l'Allier ? « La situation sera largement compensée par Safran, le plus gros employeur du département, qui veut se développer sur le marché de l'armement », souligne Frédéric Laporte, le maire LR de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia

WikikPedia
.

Lorsque l'on perd l'usine qui fabriquait des injecteurs ou des culasses, il n'y a pas de remplaçant. Rien qui vient à sa place.

Arnaud Viala, président du Conseil départemental de l'Aveyron
Plus au sud, l'Aveyron, terre d'élevage, a la réputation de disposer d'un tissu de TPE-PME plutôt prospères. Pour autant, les derniers chiffres de France Travail sur les besoins en main-d'oeuvre dans le département (-26 % sur un an) laissent entrevoir un moindre dynamisme de l'économie locale - d'autant que 60 % des intentions d'embauches sont concentrées dans les services. « Lorsque l'on perd l'usine qui fabriquait des injecteurs ou des culasses, il n'y a pas de remplaçant. Rien qui vient à sa place », note Arnaud Viala, le président du conseil départemental.

En cause, selon cet élu ex-LR passé chez Horizons, « l'inadéquation des propositions faites aux industriels pour qu'ils maintiennent leurs unités de production dans le pays » et « l'absence de stratégie de l'Etat en matière d'aménagement du territoire ».

Sous-traitants de l'automobile
Arnaud Viala pointe notamment « le resserrement géographique de la production industrielle autour des métropoles, davantage dotées en infrastructures, au détriment de projets de plus petite taille qui conviendraient à des territoires périphériques ». Dans le même esprit, Gil Avérous, maire ex-LR de Châteauroux, dans l'Indre - 2.000 salariés dépendent de l'industrie automobile dans l'agglomération -, et président de l'association Villes de France, regrette qu'« avec le virage de l'électrique et les gigafactories, tout se concentre désormais plutôt dans les Hauts-de-France et le Grand Est, mettant en difficulté les sous-traitants de l'automobile sur le reste du pays ».

Lire aussi :
Restructuration d'entreprises : « Nous regardons comment convertir des sites automobiles pour la défense »

Chacun de leur côté, les deux élus réclament une réflexion sur l'aménagement industriel partant des territoires. Et ils ne sont pas seuls. « Nous marchons tous dans le même sens, celui de la souveraineté, de la réindustrialisation et des emplois durables, mais les Régions ne sont pas toujours associées aux stratégies nationales industrielles et manquent de moyens », déplore Jalil Benabdillah, vice-président chargé de l'économie et de la réindustrialisation au Conseil régional d'Occitanie. Pour preuve, avance-t-il, « moins de 1 % des 54 milliards d'euros du plan France 2030, qui est l'un des projets les plus structurants pour la réindustrialisation, vont aux Régions ».

Quoi qu'il en soit, chacun veut amortir le choc des fermetures de sites. En Bourgogne-Franche-Comté, l'Agence économique régionale surveille comme le lait sur le feu sa petite industrie et les possibilités de transfert de compétences, plus particulièrement celles du secteur de l'automobile. « Depuis deux ans, nous rendons systématiquement visite aux entreprises qui y réalisent plus de 40 % de leur chiffre d'affaires, pour envisager leur diversification », indique ainsi Anne-Gaëlle Arbez, la directrice générale adjointe de la structure.

Depuis deux ans, nous rendons systématiquement visite aux entreprises qui réalisent plus de 40 % de leur chiffre d'affaires dans l'automobile.

ANNE-GAELLE ARBEZ, DGA de l'Agence économique régionale Bourgogne-Franche-Comté
A Nazelles-Négron, en Indre-et-Loire, quand TI Automotive, fabricant de tubes pour les systèmes de freinage, a annoncé, en mars, son choix de fermer, d'ici à la fin de l'année, son usine employant 156 salariés, Cyrille Martin, le maire de cette commune de 3.600 habitants, a décidé d'organiser un forum de l'emploi. Rendez-vous est pris pour le 12 juin. L'espoir d'Yves Aguiton, président sans étiquette de la communauté de communes du Val d'Amboise, repose sur la participation de « grandes entreprises qui recrutent ». Déjà, l'intercommunalité se mobilise avec l'Agence de développement économique régionale pour trouver un avenir au bâtiment.

Le territoire du Val d'Amboise, deuxième pôle industriel du département, a connu quelques « déconvenues » au cours des dernières années et les élus savent qu'« il faut anticiper ». Seules une ou deux entreprises mal en point sont aujourd'hui dans leur radar. Mais Yves Aguiton invite d'autant plus à la prudence que « les événements internationaux peuvent avoir des conséquences qu'on ne mesure pas encore ».

Lire aussi :
Au Mans, dans le tourbillon des tribunaux de commerce nouvelle version

Les conséquences de la fermeture de l'usine Michelin de Cholet (960 salariés), les patrons des PME du Maine-et-Loire ne les ont d'abord pas craintes. « En tant que chefs d'entreprise installés dans une zone proche du plein emploi, nous y avons d'abord vu une opportunité pour recruter des salariés qualifiés », confie Séverine Lécuyer, présidente de la CPME départementale.

Dispositif de prévention
Mais le fameux « effet domino » a commencé à se matérialiser sur les prestataires de deuxième ligne. « Les sous-traitants directs de Michelin, qui ont plutôt les reins solides, font travailler localement des entreprises, explique la responsable patronale. Ce sont celles-ci qui craignent de se faire éreinter, en particulier dans l'entretien et de la sécurité où de premiers licenciements ont débuté. » En réalité, lâche Séverine Lécuyer, « avec le départ de Michelin, tout le monde devient frileux et veut faire baisser ses coûts de fonctionnement ».

Une autre préoccupation est apparue chez les chefs d'entreprises locaux prêts à embaucher « des Michelin » : comment ces PME parviendront-elles à maintenir le niveau de salaire de ce personnel qui bénéficie d'une compensation salariale, après les trois années « aidées » ?

Lire aussi :
ENQUÊTE - Réindustrialisation : anatomie d'une panne

Ailleurs, la crainte d'un « effet retard » sur le bassin d'emploi et de vie est plus vivace encore chez cet élu - qui réclame l'anonymat - face aux réductions successives d'effectifs d'un grand groupe installé dans la région mais qu'il soupçonne de vouloir délocaliser. « Cette entreprise fait partir des gens de 50 ans en retraite anticipée avec des chèques à six chiffres qui anesthésient tout le monde, syndicats compris, fulmine-t-il. Il n'y a pas d'impact pour les ménages, pas d'impact pour le commerce local mais que se passera-t-il ensuite pour le territoire ? »

La chambre de commerce et d'industrie de Normandie n'a pas attendu pour mesurer les effets de la future fermeture du site pétrochimique d'ExxonMobil de Gravenchon, à Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime). Commerçants et chefs d'entreprise de la zone enregistrent une baisse de 15 à 25 % de leur activité depuis l'annonce, selon une enquête de l'organisme consulaire. Son président, Vincent Laudat, croit dans les grands projets de réindustrialisation prévus dans l'hydrogène et le nucléaire. L'EPR2 de Penly ne doit-il pas mobiliser jusqu'à 8.000 salariés ? Pour le moment, « la dynamique post-Covid de la réindustrialisation s'est arrêtée », dit-il. D'ailleurs, en décembre dernier, la CCI a réactivé son dispositif de prévention pour les petits patrons en difficulté.