Le désengagement américain en Ukraine esquissé par Donald Trump risque de peser lourd sur les finances publiques françaises. Les Etats-Unis ayant exclu d'envoyer leurs soldats pour faire respecter un potentiel cessez-le-feu entre Kiev et Moscou, l'Europe cherche à se mobiliser, en s'appuyant sur les principales puissances militaires du continent, dont la France.
La sécurité de l'Ukraine devait être au coeur des discussions ce lundi à Washington entre Emmanuel Macron et Donald Trump. « Je n'ai pas décidé demain d'envoyer des troupes en Ukraine, non. Ce qu'on envisage plutôt, c'est d'envoyer des forces pour garantir la paix une fois qu'elle sera négociée et signée », a déclaré Emmanuel Macron jeudi dernier dans un échange sur les réseaux sociaux.
A ce stade, aucune option n'est arrêtée. Mais le scénario d'un envoi d'une « force de réassurance », composée de 30.000 soldats européens, serait envisagé par la France et le Royaume-Uni, a révélé la semaine passée le « Washington Post ». Ces soldats seraient stationnés à distance du front et affectés à la protection d'infrastructures stratégiques, avec un soutien aérien et maritime, selon le quotidien américain. « Nous n'en sommes pas là ! La réflexion en cours pour les Européens est : comment garantir une paix durable », a déclaré au « Parisien » dimanche le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Chiffrage budgétaire
Contacté, le ministère des Armées se refuse logiquement à tout chiffrage budgétaire, jugé prématuré. Mais quelques indicateurs permettent de donner des ordres de grandeur. Ainsi, selon le dernier rapport de la Cour des comptes sur les opérations extérieures de la France, datant de 2016, le coût unitaire par militaire projeté d'une opération extérieure atteignait alors en moyenne 100.000 euros par soldat déployé par an. Soit environ 120.000 euros aujourd'hui avec l'inflation.
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L'envoi de 5.000 soldats français, comme au pic de l'opération Barkhane au Sahel et au Sahara, reviendrait selon ce calcul à 600 millions d'euros par an, soit un montant proche du coût de l'opération Barkhane (environ 880 millions d'euros en 2020). « L'ordre de grandeur me paraît juste et la comparaison avec Barkhane pertinente (moins loin, mais plus lourd) », confirme Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l'Otan et désormais spécialiste des questions de défense au think tank European Council on Foreign Relations (ECFR). « Cependant, beaucoup d'inconnues peuvent amener à moduler ces chiffres pour les finances publiques : volume de forces notamment aériennes engagées, financement par l'UE, soutien des Etats-Unis, nombre de pays participants », énumère-t-il.
« On peut imaginer un budget d'un peu moins d'un milliard d'euros pour une opération française de maintien de la paix en Ukraine », estime de son côté une source parlementaire au fait des questions de défense. La facture pourrait même être plus lourde. « Il faut au minimum doubler le coût par rapport à Barkhane, si on ne veut pas que nos soldats soient comme des chèvres attachées à un piquet », juge un autre expert militaire.
« Qui va payer ? »
Car, même dans un scénario de maintien de la paix, « cette force, pour être en mesure de combattre, devra disposer d'appuis, d'une surface logistique en munitions, d'hôpitaux de campagne, de capacités de ravitaillement et d'une réserve opérative, à hauteur d'un tiers des effectifs, placée dans un pays voisin et en mesure de venir rapidement », selon cet expert. Il faudrait aussi se donner les moyens d'avoir la maîtrise du ciel. Or « faire des dômes de fer, ça coûte très cher », poursuit-il.
« Le budget de l'Etat français risque aussi d'être mis à contribution. Une provision de 750 millions d'euros pour les opérations extérieures est prévue dans la loi de finances 2025, selon le ministère des Armées. »
Une autre question se pose : qui va payer ? L'Otan pourrait théoriquement assurer le financement d'une partie de l'opération. Mais « sans les Etats-Unis, ça risque d'être compliqué », note la chercheuse Sylvie Matelly, de l'Institut Jacques Delors, qui indique plutôt la direction de l'Union européenne et de la Facilité européenne pour la paix. Le budget de l'Etat français risque aussi d'être mis à contribution. Une provision de 750 millions d'euros pour les opérations extérieures est prévue dans la loi de finances 2025, selon le ministère des Armées. Mais des surcoûts sont observés chaque année.
Quel que soit le montant final d'une hypothétique opération, la somme ne constituerait qu'une partie de l'effort pour soutenir l'Ukraine. Selon le rapport sur la mission défense du projet de loi de finances, le soutien apporté à l'Ukraine a déjà atteint 2 à 3 milliards d'euros en 2024. Le budget de la défense - 50,5 milliards d'euros cette année - doit croître jusqu'à 67 milliards d'euros en 2030, selon la loi de programmation militaire. Cette hausse pourrait être plus rapide que prévu, selon Sébastien Lecornu. « Le président de la République m'a demandé de lui faire des propositions pour accélérer encore notre réarmement et renforcer plus vite nos capacités », a déclaré le ministre des Armées au « Parisien ».