Pour l'économiste Joseph Stiglitz, « Trump est un destructeur »

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Il est un peu déprimé mais vaillant. Joseph Stiglitz, prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 2001, communément appelé « prix Nobel d'économie », est de passage à Paris à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage, « Les Routes de la liberté » (*), en miroir du livre de l'économiste libéral Friedrich Hayek « Les Routes de la servitude », que cette figure de la gauche américaine critique.

A bientôt 82 ans dans quelques jours, le compagnon de route des démocrates ne mâche pas ses mots contre Donald Trump et a du mal à se remettre de son élection à la présidence des Etats-Unis.

C'est d'abord le rapport que le magnat de l'immobilier entretient aux faits qui pose problème, selon Stiglitz. « Trump a réussi à détruire la croyance en l'existence de la vérité » aux Etats-Unis, notamment en ce qui concerne le résultat de l'élection de 2020. « Trump est un destructeur », lâche l'économiste.

Ensuite, c'est l'accumulation de milliardaires dans l'entourage du nouveau président qui soulève ses critiques. « L'argent est devenu de plus en plus important dans la politique américaine ces dernières années », depuis 2010, l'année où la Cour suprême a permis le financement sans limite des campagnes électorales par des entreprises et des individus.

Le financement des milliardaires
Aujourd'hui, « on parle de 'financements de campagne' alors que le terme que l'on devrait utiliser est 'investissements dans la politique' ». « Les milliardaires espèrent un retour sur ces investissements, que ce soit des lois ou des réglementations. C'est même probablement l'investissement le plus rentable qu'ils puissent faire. »

Finalement, « quand Elon Musk finance la campagne de Donald Trump, sa fortune lui sert à influencer l'Amérique mais aussi le reste du monde, en s'assurant que le président fera pression sur l'Union européenne pour qu'elle allège les réglementations sur la vie privée, les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle ». « Pour la simple raison qu'elle entend modérer les propos tenus sur les réseaux, l'UE sera critiquée », craint-il. Ces propos sur la puissance du monde des affaires en politique font écho à ceux du président Joe Biden, qui a évoqué la création d'une « oligarchie » en Amérique.

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Les profits des entreprises américaines, après impôts, ont représenté 11 % du PIB à la fin de l'an passé, un niveau jamais atteint sur les quarante dernières années. Cette inflation des profits a nourri celle des prix, participant à la crise du coût de la vie depuis fin 2021. Pourtant, les Américains ont élu un milliardaire qui a choisi d'autres milliardaires, tels Scott Bessent, secrétaire au Trésor, ou Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, et Vivek Ramaswamy, conjointement responsables du ministère de l'Efficacité gouvernementale.

Un économiste inquiet
Mais « Trump a fait sa campagne en disant aux gens que ce sont les autres qui leur causent des problèmes, plutôt que les monopolistes américains », peste Joseph Stiglitz. Pour preuve, ce récent message sur X, l'ex-Twitter, de Vivek Ramaswamy expliquant que « la cause profonde des difficultés de la classe ouvrière américaine est en réalité le gouvernement fédéral lui-même ».

« J'avais conseillé à Biden de taxer les surprofits des entreprises pendant la crise inflationniste, mais il ne l'a pas fait par lâcheté », regrette l'économiste. Finalement, Trump baissera l'impôt sur les sociétés.

C'est ce dernier point et plus généralement le programme économique qui provoque le courroux de l'économiste américain. Avec la dérégulation de la finance souhaitée par Trump, « nous sommes en train de créer la prochaine crise financière », estime-t-il. Il se dit « très inquiet » pour l'Amérique.

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« Notre première ligne de défense, ce sont les institutions américaines et les procédures légales. Elles sont imparfaites et fragiles, mais elles existent », avance Stiglitz. La seconde, ce sont « les conflits qui vont émerger au sein du Parti républicain. Les nationalistes veulent arrêter l'immigration alors qu'Elon Musk a besoin d'immigrés » dans ses entreprises.

Le très droitier Steve Bannon, ex-conseiller de Trump, a promis d'écarter le propriétaire de Tesla et X, l'ex-Twitter, de l'équipe du nouveau président. Par ailleurs, « Trump veut augmenter les droits de douane », mais tout le monde n'est pas d'accord chez les républicains, notamment « les entreprises qui auront plus de mal à acheter des consommations intermédiaires », insiste-t-il. Bref, « il existe des contradictions internes dans le camp Trump », souligne Stiglitz. Ce dernier espère bien que le camp démocrate saura profiter de ces dissensions à venir.

(*) «Les Routes de la liberté », de Joseph Stiglitz. Editions Les Liens qui libèrent, 352 pages, 24,90 euros.