le Massif central imagine un élevage durable pour 2040

Le Massif Central se fixe un horizon à 2040 pour bâtir un projet mêlant techniques agronomiques, sociologie, transition écologique… Car la plus grande prairie d’Europe défend un modèle de ferme à « taille humaine » alors que l'agriculture traverse une crise depuis plusieurs mois.

Le Massif central a perdu 22% d’exploitations d’élevages bovins et ovins entre 2010 et 2020. (Crédits : DR Emilie Valès)

Déjà pressés par des attentes de plus en plus fortes des consommateurs et le changement climatique qui bouleverse leurs pratiques, les éleveurs sont également touchés par une surcharge administrative, des inquiétudes sur les traités de libre-échange, un manque de revenus ou encore des difficultés dans la transmission des exploitations… Cela, dans une filière qui représente 39 % de la surface agricole utilisée en France, mais aussi 59 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) directes du secteur, souligne le think tank The Shift Project dans son rapport « Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère » publié en novembre.
Malgré ce contexte compliqué, élus, agriculteurs et représentants professionnels du Massif Central portent, depuis l'an dernier, le projet « Durab'el » afin d'élaborer une réflexion stratégique et une ambition pour le secteur d'ici à 2040 : s'ancrer dans un modèle d'élevage durable, avec des exploitations viables, attractives, vertueuses au niveau écologique et intégrées dans leur territoire.
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Puits de carbone
Le Massif central est convaincu que ses exploitations à taille humaine, familiales, avec moins de 100 hectares pour deux actifs, répondent déjà à une partie de la problématique. Tout comme la pratique du pâturage. Car la plus grande prairie d'Europe, qui s'étend sur 85.000 km2 répartis sur 22 départements, est couverte à 80% d'herbe.
« Nos systèmes herbagers et notre pastoralisme sont vertueux. Les prairies sont des puits de carbone très intéressants et il y a plein d'autres bénéfices : conservation des paysages, biodiversité… Cela permet aussi d'éviter l'embroussaillement et limite les risques d'incendie », explique Laurent Bouscarat, directeur d'Auvergne Estives, le service pastoral auvergnat.
Les prairies ont, en effet, la capacité de retenir dans le sol environ 80 tonnes de carbone par hectare en moyenne. Et puis, en utilisant au maximum de l'herbe ou du fourrage issus de l'exploitation, les éleveurs peuvent réduire leurs achats de tourteaux de soja et de colza qui complètent l'alimentation des bêtes. Des compléments importés, pour l'heure, en grande partie d'Amérique du Sud.
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80% d'autonomie protéique à l'échelle de l'exploitation
Pour aller plus loin, des indicateurs et objectifs ont été dressés dans le cadre du projet Durab'el. « Ce n'est pas un cahier des charges, mais une ambition : rémunération, qualité de vie au travail, biodiversité, implication locale… », énonce Nicolas Mullenbach, chargé de mission au SIDAM, le service interdépartemental pour l'animation du Massif central.
« Nous avons, par exemple, convenu qu'il fallait dégager deux SMIC par actif et 22 jours de congés par an a minima. Nous visons, par ailleurs, 80% d'autonomie protéique à l'échelle de l'exploitation et 70% d'herbe dans le système d'élevage. »
Pour cela, les deux prochaines années vont permettre d'établir un plan d'action, notamment en termes d'accompagnement technique agronomique, sur la gestion de l'herbe, la conduite des troupeaux, l'adaptation aux aléas climatiques… Avec l'objectif d'être plus autonome.
« Nous nous donnons l'horizon de 2040, car c'est un travail au long cours. Certains changements sont profonds et puis, cela risque d'évoluer avec le changement climatique et les nouvelles technologies », poursuit Nicolas Mullenbach.
D'autant que l'enjeu est aussi d'attirer de futurs éleveurs alors que le Massif central a perdu 22% d'exploitations d'élevages bovins et ovins entre 2010 et 2020.
30% des emplois sur certains territoires
Pire, la moitié des exploitations du territoire est dirigée par au moins un exploitant senior (55 ans ou plus) et devra être transmise dans les dix prochaines années. Pour préserver cette activité agricole, qui représente jusqu'à 30% des emplois dans certains territoires du Massif central, il faut s'atteler à ce renouvellement des générations.
Le plan ACTIFE, financé par l'État dans le cadre de France 2030, vise justement à accompagner les transitions et l'installation dans le Massif central par la formation en élevage.
« Il faudrait doubler le nombre de jeunes en formation pour espérer remplacer chaque départ à la retraite. Nous avons donc comme objectif de doubler les candidats à l'élevage dans quatre lycées agricoles partenaires », détaille David Jouve, chargé de mission pour le programme ACTIFE.
Reconnaissance politique des spécificités
Outre une meilleure rémunération des éleveurs, notamment au travers d'une refonte de la loi Egalim, ces agriculteurs demandent surtout une reconnaissance des spécificités du territoire. Ces produits, reconnus pour leur qualité (fromages AOP, viande label rouge), sont souvent plus chers à fabriquer.
« Les exploitations en Amérique du sud et du nord se basent sur un système opposé. Une dizaine d'éleveurs pour des milliers d'animaux sur un territoire assez restreint afin de diminuer les coûts et gagner en productivité », illustre Bruno Dufayet, éleveur dans le Cantal et ancien président de la Fédération nationale bovine.
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En contrepartie, « il faut davantage nous soutenir », disent en substance les éleveurs auvergnats, dans un contexte social tendu avec l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur.
« Nous n'aurons jamais des exploitations qui seront pleinement dans le jeu de la compétitivité, mais nous avons un rôle à jouer sur certains marchés et surtout, nous avons un rôle environnemental, souligne David Chauve, président de la Chambre d'Agriculture du Puy-de-Dôme.

Quels élevages durables ? Les réponses de The Shift Project
The Shift Project, présidé par l'ingénieur et conférencier Jean-Marc Jancovici, a consulté quelque 7.700 agriculteurs et organisations professionnelles l'année dernière pour construire son rapport sur l'agriculture, publié en novembre.
Parmi les leviers de transformation identifiés par l'organisme, figure celui, « incontournable », de la résilience des systèmes d'élevage, « pour atténuer leurs émissions de GES directes ou indirectes, améliorer leur résilience, préserver certaines externalités positives (stockage de carbone, biodiversité, transfert de fertilité, valorisation de ressources ou surfaces, etc.) et réduire les externalités négatives (capacité des écosystèmes à absorber les effluents, concurrence d'usages sur la biomasse, etc) ».
« Un compromis est donc à trouver pour les différents types d'élevages, entre la baisse du nombre d'animaux, la préservation des services écosystémiques associées à certains systèmes, et la limitation des émissions importées ».

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