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Publié hier à 14h30, mis à jour à 16h10
Solenne Gaucher, la polytechnicienne de 30 ans qui lutte contre les biais des algorithmes. Fondation L’Oréal – Clémence LOSFELD et Richard PAK
PORTRAIT.- Polytechnicienne et docteure en mathématiques de l’Université Paris-Saclay, la chercheuse de 30 ans s’attaque aux discriminations produites par les algorithmes, et notamment l’intelligence artificielle.
Quel est le point commun entre le pape immortalisé en doudoune immaculée et ChatGPT ? L’intelligence artificielle (IA). Ces dernières années, pas une semaine ne passe sans qu’on en parle. Elle nous fascine autant qu’elle nous effraie. L’IA serait capable de presque tout : rédiger nos comptes rendus - voire nos articles -, écrire des programmes informatiques, créer des images de synthèse, réaliser des clips, conduire à notre place…
L’IA pose des questions éthiques, de droits d’auteur et de manipulation de l’information. Nombreux sont ceux qui reprochent aux algorithmes, les boîtes noires au cœur des systèmes, d’avoir des «biais». Tantôt sexistes, tantôt racistes. «Si vous demandez à une IA de traduire de l’anglais au français “The doctor and the nurse are late”, vous obtiendrez… “Le médecin et l’infirmière sont en retard”», nous explique ainsi la chercheuse Solenne Gaucher. «Il y a ici une interprétation sexiste de la situation.» Du haut de ses 30 ans, la polytechnicienne a, elle, justement décidé de s’attaquer aux discriminations produites par les algorithmes.
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Mathématicienne, de mère en fille
Solenne Gaucher est tombée enfant dans la marmite des mathématiques, grâce aux femmes de sa famille. «Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé les maths. Il faut dire que j’ai été entourée de femmes scientifiques depuis toujours : ma grand-mère était chercheuse physicienne, tandis que ma mère et ma tante sont toutes les deux des mathématiciennes.» Alors que les fillettes ont en moyenne de moins bons résultats en maths que les garçons du même âge, et ce, dès la 1re année d’école primaire (CP), Solenne Gaucher collectionne les bonnes notes dans cette matière. Et jamais son genre n’entre en jeu dans l’équation. «Dans ma famille, j’avais le contre-exemple parfait que les maths n’étaient pas réservés qu’aux garçons. D’ailleurs, si j’avais des questions sur un exercice, mon père me disait d’aller voir ma mère car c’était elle la meilleure», nous confie-t-elle, consciente que ces modèles féminins l’ont forgée.
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1 femme sur 30 élèves
Après un parcours académique exemplaire, un Bac S «mention Très Bien», une prépa maths et physique au Lycée Hoche à Versailles, Solenne Gaucher rejoint les bancs de la très convoitée École polytechnique. «Dans ma promotion, il n’y avait que 18% de filles.» Car la réalité est là : plus les années passent, plus l’étudiante monte dans les classes… et plus les femmes se font rares. Ainsi, quand elle intègre le master en mathématique de Paris de la prestigieuse université Paris-Saclay, elle est la seule femme sur 30 élèves du cursus. «Deux éléments ont fait que moi, malgré l’absence des femmes dans les sciences et les mathématiques, j’étais là. J’avais eu la chance d’avoir des exemples de modèles féminins et j’ai toujours eu le soutien de mon entourage», nous confie celle qui enchaînera avec un doctorat en statistiques. Solenne Gaucher le confirme : «Les maths, c’est un milieu très élitiste.» «On a cultivé cette idée que les maths étaient innées et relevait du génie. Pour les femmes, qui ont davantage tendance à s’autocensurer et à sous-évaluer leur niveau par rapport aux hommes, il peut être compliqué de se reconnaître dans ce discours élitiste.»
Si j’avais des questions sur un exercice, mon père me disait d’aller voir ma mère car c’était elle la meilleure
Solenne Gaucher
De son côté, Solenne Gaucher n’a jamais baissé les bras. Pas même si elle se retrouvait en minorité numérique. Encore des maths… La jeune femme s’est aujourd’hui donné un objectif : «Développer des algorithmes équitables et inclusifs.» Quand elle n’enseigne pas - elle donnera des cours de statistiques à Polytechnique à partir de février -, on la retrouve soit devant un ordinateur, où elle se tient au courant des dernières recherches de la communauté scientifique, soit à son bureau avec «beaucoup de papiers et un crayon pour faire des calculs au brouillon». C’est là qu’elle travaille sur les propriétés mathématiques des algorithmes et cherche à garantir qu’ils fonctionnent bien, sans biais et sans discriminations.
«Il faut des rôles modèles intermédiaires»
Le travail de Solenne Gaucher n’est pas passé inaperçu. La Fondation L’Oréal, soucieuse de valoriser des chercheuses prometteuses et d’accélérer leur carrière, l’a même récompensée le 9 octobre dernier du Prix Jeunes Talents France 2024 L’Oréal-Unesco «Pour les Femmes et la Science». Cela lui a permis de recevoir une aide de 20.000 euros pour financer ses recherches. «Je vais en utiliser une bonne partie pour financer un séjour de 3 mois, de novembre à février, avec deux chercheuses en Allemagne, à l’Institut Max-Planck, à côté de Stuttgart.» Pour la mathématicienne, ce genre de prix va dans le bon sens. «Il est important de mettre en valeur des jeunes talents scientifiques pour proposer de nouveaux modèles aux jeunes filles. C’est bien gentil de parler de Marie Curie mais il faut aussi des rôles modèles intermédiaires.» La preuve, il y a aussi Solenne Gaucher.
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