26/12/2025/H04:46:00
Tchat terminé
Le milliardaire franco-russe a été mis en examen, accusé par la justice française de ne pas agir contre la diffusion de contenus criminels sur la messagerie, qui compte 900 millions d’utilisateurs. Damien Leloup et Laura Motet décryptent cette affaire à partir de 15 heures.
TCHAT
LE CONTEXTE
Ce tchat se termine, merci d’y avoir participé ! Vous pouvez retrouver tous nos articles sur Telegram et l’arrestation de M. Durov sur cette page.
Bonjour Robert R,
Ce n’est pas obligatoire pour résider à Dubaï, mais M. Durov en a obtenu un, peu avant sa naturalisation française, grâce à une procédure conçue spécifiquement pour les entrepreneurs qui installent leur entreprise dans le pays. M. Durov sait quelque chose des pratiques des émirats en matière de libertés publiques : comme l’avaient révélé Le Monde et ses partenaires, un de ses téléphones avait été sélectionné pour un ciblage par le logiciel espion Pegasus en 2018, par un service de renseignement émirati. Lire aussi |
Bonjour Énervée,
D’un point de vue judiciaire, ni l’un ni l’autre. Pavel Durov (Paul du Rove, de son nom francisé) est suspecté par la justice de ne pas avoir respecté le droit français (absence de déclaration de son application de chiffrement, mais surtout quasi-absence de modération et de réponse aux réquisitions judiciaires). Il est poursuivi à ce titre, peu importe qu’il ait un passeport français ou pas. Laura Motet
Bonjour Curieux,
Vous avez tout à fait raison. De manière assez exceptionnelle, cette semaine, les canaux de discussion proguerre comme les canaux libéraux étaient d’accord pour apporter leur soutien à Pavel Durov. Telegram n’est pas un espace réservé aux « pro-Poutine » ou à l’extrême droite ; mais ce n’est pas du ressort de la justice française, qui examine une série de faits reprochés au patron de Telegram, pas l’intérêt de la plate-forme !
Bonjour Onditchiffrer (en effet, on dit chiffrer),
C’est un peu plus compliqué que cela : la « remise des clés » n’est pas un processus magique qui donnerait instantanément accès au contenu de toutes les « conversations secrètes » : cela ne serait utile qu’en ayant par ailleurs un accès permanent à l’infrastructure de Telegram, ou en interceptant des communications à grande échelle. Par ailleurs, le responsable du chiffrement est le frère de Pavel Durov, Nikolaï, qui est libre et pourrait tout à fait « changer la serrure » à tout moment. Cela n’obère pas d’autres possibilités, comme un accord de collaboration, ou d’autres solutions techniques de surveillance, mais rien à ce stade n’appuie l’hypothèse d’un « deal ». Damien Leloup
Bonjour Hanzee,
Les rendez-vous avec M. Macron en 2018 et l’obtention de la nationalité française en 2021 (détaillés dans l’article de mon confrère Damien Leloup ici) sont des décisions politiques.
L’ouverture d’enquête et son arrestation sont des décisions judiciaires.
Ce n’est pas un changement de traitement, mais le fruit des décisions de deux acteurs distincts, qui ne se sont pas concertés. Laura Motet
Bonjour SeMu,
La Commission européenne n’a pas d’obligation d’emboîter le pas à la France – ses prérogatives ne sont d’ailleurs pas du tout les mêmes que celles de la justice pénale française ! La Commission européenne utilise les ressorts qui lui sont offerts par le Digital Services Act européen et, selon les informations du Financial Times, elle envisagerait de classer d’autorité Telegram parmi les « très grandes plates-formes ». Théoriquement, ce statut assorti de nombreuses obligations est réservé aux plates-formes ayant plus de 45 millions d’utilisateurs en Europe. Telegram n’en déclare que 41, mais la Commission soupçonne que ce chiffre a pu être intentionnellement sous-évalué. Si elle fait ce choix, la Commission lancera vraisemblablement dans la foulée une procédure contre Telegram, qui peut se traduire par de lourdes amendes, mais c’est un processus long.
Bonjour Eliott,
L’Office national anti-fraude (ONAF) est un service d’enquête dépendant de Bercy et travaillant, comme son nom l’indique, sur les fraudes, mais aussi le blanchiment d’argent, notamment grâce à des enquêteurs issus des services des douanes et quelques enquêteurs fiscaux.
Cet office est né récemment, en mai 2024, à partir du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), lui-même créé en juillet 2019 à partir du service national de douane judiciaire (SNDJ).
Il y a évidemment quelques différences entre ces services. L’ONAF est censé, par exemple, voir le nombre de ses officiers fiscaux judiciaires doubler d’ici à 2025, par rapport à ceux qu’il y avait au SEJF. Laura Motet
Bonjour Majic,
Si vous cherchez une messagerie sécurisée, Signal l’est incontestablement plus que Telegram. L’écrasante majorité des experts considèrent également que WhatsApp est un meilleur choix au niveau de la sécurité des communications.
Bonjour MorueBouillie,
Non. Cette rumeur a abondamment circulé dans des canaux de désinformation prorusses et pro-iraniens, mais elle est fausse : la procédure française n’en fait aucune mention, et a, par ailleurs, été ouverte en mars, des mois avant que ces documents piratés ne soient diffusés sur Telegram.
Bonjour Gregon,
Lorsque nous avions posé la question à Telegram l’an dernier, l’entreprise nous avait répondu que M. Durov « a toujours été un admirateur de l’histoire et de la culture française, et a été très encouragé par les politiques mises en place [dans le pays] après l’élection de M. Macron en 2017. M. Durov a un grand respect pour la manière dont la France garantit la liberté d’expression ». Avant d’être naturalisé, Pavel Durov est venu fréquemment à Paris, comme l’attestait à l’époque son compte Instagram.
Plus prosaïquement, M. Durov a sans doute jugé qu’un passeport français était un outil utile – c’est l’un des passeports offrant la plus grande liberté de déplacement dans le monde. Damien Leloup
Bonjour Arthur et Charles,
Une enquête préliminaire d’initiative a été ouverte en février 2024 sous la direction du parquet de Paris. Les enquêtes d’initiatives sont minoritaires : elles procèdent d’une volonté du parquet de traiter des faits pour lesquels aucune plainte n’a été déposée par une victime. Les autorités judiciaires, en ouvrant cette enquête et en effectuant cette arrestation, espèrent – dans les grandes lignes – mettre fin à une forme d’impunité dont semble jouir Telegram. Selon elles, l’application opérerait sans respecter les lois françaises et européennes, notamment en matière de modération des contenus et de réponses aux réquisitions judiciaires.
« La quasi-totale absence de réponse de Telegram (…) a été portée à la connaissance de la section de lutte contre la cybercriminalité (…), notamment par l’Ofmin [l’Office des mineurs], explique la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau. Consultés, d’autres services d’enquête et parquets français ainsi que divers partenaires au sein d’Eurojust, notamment belges, ont partagé le même constat ».
D’« enquête préliminaire », la procédure est passée en « information judiciaire » le 8 juillet 2024. Ce changement est important : il signifie que, depuis cet été, l’enquête est gérée par un juge d’instruction, dont l’indépendance est protégée statutairement. Toute intervention gouvernementale ou politique dans cette arrestation est à écarter. Laura Motet
Bonjour JB,
Il y a effectivement eu des critiques, parfois très virulentes, contre la France chez certains PDG d’entreprises technologiques et investisseurs. Outre Elon Musk, qui a abondamment commenté ce dossier tout en n’en ayant qu’une compréhension très imparfaite, des critiques plus fondées ont pu venir par exemple du PDG de Proton, la société qui édite la messagerie chiffrée Proton Mail. Il est sûr que cette arrestation a fait se poser des questions à d’autres patrons de services déjà visés par des procédures judiciaires.
En revanche, il faut aussi garder à l’esprit que les très grandes plates-formes savent bien que la situation de Telegram est très particulière. Lors de discussions sur ces sujets avec des cadres de grandes sociétés, on peut aussi parfois les entendre se plaindre qu’eux font beaucoup d’efforts et investissent dans la modération, tandis que des acteurs comme Telegram semblaient passer entre les mailles du filet… Damien Leloup
Bonjour Florian,
C’est une question complexe, tout autant que les relations de Telegram avec la Russie durant la dernière décennie. Mais certains points sont très clairs : d’une part, ce dossier fournit à la Russie une opportunité de se poser en pays « défenseur des libertés » – un retournement rhétorique assez étonnant étant donné que, comme vous le rappelez, c’est la Russie qui a, la première, tenté de bloquer Telegram. Ces derniers jours, les chaînes de propagande prorusse ont diffusé de nombreux messages mensongers sur les raisons de l’arrestation de M. Durov.
Un autre point important est que Telegram est devenu incontournable pour les Russes, y compris pour son armée. L’application est omniprésente dans le pays, elle est utilisée par les soldats pour communiquer avec leurs proches, par les Russes pour s’informer, et il n’existe pas vraiment d’autres options dans un pays qui cherche à bloquer les plates-formes américaines. Pour en savoir plus, je vous recommande la lecture de cet article de notre correspondant à Moscou, Benjamin Quénelle, qui raconte le « vent de panique » qui a parcouru les canaux de discussion russes ce dimanche : Lire aussi |
Bonjour Jean-Eudes,
Ce que vous avez entendu à la télévision est un argumentaire quelque peu incomplet. Ce qui est reproché à Telegram, ce n’est pas d’être un moyen de communication, ni même de proposer le chiffrement des échanges (ce que ne propose pas La Poste !).
D’ailleurs, le chiffrement ne s’applique, comme je le disais, qu’aux échanges à deux et si on l’active. Il ne vaut pas pour les groupes de discussion ou les listes de diffusion, qui sont celles qui posent le plus de problèmes à la justice (et qui permettent de se livrer au trafic de drogue, à des escroqueries, à de l’échange d’images pédopornographiques…).
Ce qui est reproché à Telegram, c’est bien sa quasi-absence de modération et de coopération avec les autorités judiciaires, alors même que leurs demandes sont encadrées par la loi. Sans dévoiler d’éléments de dossier et pour poursuivre sur votre analogie avec une lettre, La Poste et sa banque, elles, coopèrent avec la justice et les forces de l’ordre, aussi bien en matière de lutte contre le terrorisme que de lutte contre le trafic de stupéfiants. Laura Motet
Bonjour Arthur,
Il existe une différence majeure entre les deux plates-formes : Telegram est aussi un réseau social, avec des canaux de discussion, publics ou privés, dont le contenu n’est pas chiffré. Seules les « conversations secrètes » entre deux utilisateurs de Telegram sont chiffrées de bout en bout, rendant leur contenu illisible même pour l’entreprise.
Or, ce sont souvent les canaux de discussion qui intéressent les enquêteurs : ils sont utilisés pour tout une panoplie de délits et de crimes, allant de la diffusion pirate de matches de Ligue 1 à la diffusion de contenus pédopornographiques. Damien Leloup
Bonjour,
Pour le dire de manière résumée, il existe une différence majeure entre Facebook, Instagram (et quasiment tous les autres réseaux sociaux), et Telegram : Telegram ne répond pas, ou presque pas, aux demandes de suppression de contenu et aux réquisitions judiciaires.
La modération de Facebook peut être très critiquable – nous avons publié ces dernières années de nombreux articles sur le sujet –, mais l’entreprise répond aux demandes qui lui sont adressées, que ce soit des signalements de simples utilisateurs ou des demandes de service d’enquête. Ce n’est que très rarement le cas sur Telegram. Damien Leloup
Bonjour Louis,
Le communiqué de presse du parquet de Paris (consultable ici) fait effectivement état de trois chefs de prévention liés au chiffrement : « fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme », « fourniture d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable », « importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable ».
Dans les grandes lignes, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (et en particulier son Titre III, je mets le lien pour les amateurs comme moi de Légifrance) prévoit plusieurs obligations pour les éditeurs de « moyens de cryptologie » – là où il n’y en a aucune pour leurs utilisateurs.
Ils doivent notamment se déclarer auprès des services du premier ministre – en l’occurrence l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), l’organisme chargé de la cybersécurité de l’Etat français. Attention : il s’agit d’une déclaration et non d’une demande d’autorisation. Dans les faits, cette obligation n’est qu’une formalité administrative, rarement contrôlée (et donc sanctionnée lorsqu’elle fait défaut).
Je ne suis pas en mesure de vous dire si Signal et WhatsApp ont effectué ces déclarations, mais ils sont d’autant plus concernés par celle-ci qu’eux chiffrent automatiquement les conversations (là où, sur Telegram, il faut faire la démarche de créer une « conversation secrète » pour que l’échange soit chiffré). Laura Motet
Bonjour,
A très court terme, la réponse est plutôt non : l’équipe de Telegram a, depuis des années, élaboré un « plan de secours » visant à assurer la continuité du service en cas d’arrestation de son PDG. L’application fonctionne tout à fait normalement, et M. Durov peut parfaitement gérer son entreprise depuis la France – Telegram n’a pas réellement de bureaux, même à Dubaï, où son siège est essentiellement une boîte postale.
A moyen et long terme, en revanche, les poursuites auront certainement des conséquences, mais elles sont très difficiles à prévoir : on est encore loin d’un procès dont la date n’a pas été fixée, et selon son issue, l’entreprise pourrait faire évoluer – ou non – ses services.
Pour l’heure, la conséquence la plus directe pour Telegram a peut-être été le plongeon qu’a effectué la cryptomonnaie TonCoin : ce cryptoactif n’est pas géré directement par Telegram, mais il est un élément-clé de sa stratégie de développement, et l’arrestation de M. Durov a provoqué une petite panique chez les spéculateurs. Damien Leloup
Le contexte
Tchat animé par Damien Leloup et Laura Motet
Image de couverture : Le fondateur et PDG de Telegram, Pavel Durov, prononce un discours lors du Mobile World Congress à Barcelone, en Espagne, le 23 février 2016. Albert Gea / REUTERS
Le patron de Telegram, Pavel Durov, a été interpellé samedi 25 août à l’aéroport du Bourget, près de Paris, un mandat de recherche étant émis contre lui par des enquêteurs français visant diverses infractions de sa messagerie.
Le milliardaire, âgé de 39 ans, a été mis en examen mercredi soir par deux juges d’instruction parisiens lui reprochant de ne pas agir contre la diffusion de contenus criminels, notamment pédopornographique, sur la messagerie, et s’est vu imposer un lourd contrôle judiciaire l’obligeant à rester en France.
Le Kremlin a vivement réagi, estimant que l’affaire judiciaire visant le patron de la messagerie, qui possède la nationalité française ainsi que des passeports russe et émirati, ne devait pas « se transformer en persécution politique ».
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