16/09/2024


Les millions de Bill Gates pour les OGM n’ont pas vaincu la faim en Afrique

En vingt ans, la Fondation Bill & Melinda Gates a largement financé la recherche sur les semences OGM en Afrique. Problème : les seuls OGM cultivés sont ceux développés aux États-Unis dans les années 1980.

Vous lisez la seconde partie de l’enquête « Agriculture : la mainmise de Bill Gates ». Retrouvez la première partie ici.

Une vague pro-OGM déferle sur l’Afrique depuis plusieurs années. Début 2023, deux rassemblements pro-OGM au Kenya et en Ouganda ont réclamé une adoption rapide des semences OGM. Le héraut des OGM Mark Lynas s’est félicité sur X de cette « première marche en faveur des OGM en Afrique ». Autant parler d’autosatisfecit, puisque les événements ont été organisés par Weplanet Afrique… cofondé par Mark Lynas lui-même. Il est le stratège en communication d’Alliance for Science, une organisation dédiée à la promotion des OGM en Afrique financée principalement par la Fondation Bill & Melinda Gates (BMGF), avec une enveloppe de 10 millions de dollars en 2020. D’abord connu sous le nom de Replanet, Weplanet a également été très actif en Europe pour peser sur la législation européenne des nouveaux OGM cet hiver. Les deux rassemblements en Afrique ont été organisés en réaction à des mouvements anti-OGM dans plusieurs pays, à la suite de plusieurs décisions gouvernementales favorables aux biotechnologies. Fin 2022, le nouveau président kenyan William Ruto a levé un moratoire de dix ans sur l’importation et la culture d’OGM. En juillet 2022, le Sénégal autorisait pour la première fois la commercialisation de semences OGM. Plus récemment, le 5 février dernier, le Nigeria est devenu le deuxième pays africain à accepter la culture de maïs OGM, plus de vingt ans après l’Afrique du Sud. Dernière décision en date, le 20 mars, le Ghana a approuvé la commercialisation de quatorze nouvelles variétés génétiquement modifiées de maïs et soja. Lire aussi : Bill Gates, le milliardaire qui industrialise l’agriculture mondiale Difficile aujourd’hui d’évaluer les motivations des pays africains pour adopter une législation pro-OGM. Par contre, le bilan de trente ans d’OGM sur le continent est parlant. La percée des variétés commerciales a été minime. Seule l’Afrique du Sud cultive depuis 1997 des variétés génétiquement modifiées de soja, de maïs et de coton, des semences produites par les géants Bayer et Dupont. La nation arc-en-ciel a été rejointe plus récemment par une poignée d’autres pays — Nigeria, Malawi, Éthiopie et Soudan — qui ont mis en culture du coton Bt capable de produire un insecticide, selon les dernières données de 2019 du Service international pour l’acquisition d’applications agricoles biotechnologiques (Isaaa). Face à cette faible percée des grandes cultures à vocation industrielle développées aux États-Unis dans les années 1980, l’aide au développement agricole a financé depuis vingt ans des projets public-privé ou des instituts de recherche publique pour développer des semences génétiquement modifiées (GM) adaptés au continent. Avec comme acteurs majeurs la Fondation Bill & Melinda Gates et l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Bayer-Monsanto grand bénéficiaire de l’aide Entre 2001 et 2022, 400 millions de dollars sont allés au financement de recherches pour des semences génétiquement modifiées destinées au développement agricole de l’Afrique, selon le mBio project, une base de données sur les OGM en Afrique développée conjointement par les universités de San Francisco, de Chicago et de Cambridge. Plus de la moitié de ces fonds — 223 millions de dollars — viennent de la seule Fondation Gates. L’équipe de mBio project estime même que le montant total des financements pourrait atteindre plusieurs milliards de dollars, en englobant tous les projets non fléchés, mais qui sont « probablement biotechs ». La contribution de la Fondation Gates s’élèverait alors à 380 millions de dollars. Où va cet argent ? Là encore, mBio project est une ressource inédite pour trouver de l’information. La majorité des recherches financées sur les semences OGM pour l’Afrique sont en dehors du continent ou avec un partenaire extérieur au continent. Une partie des financements revient à des institutions de recherches occidentales. Par exemple, 43 millions de dollars ont été versés par la Fondation Gates à l’université du Michigan. Ensuite, les financements aux CGIAR, ces centres internationaux de recherche sur les semences où les choix de recherche sont guidés en partie par la Fondation Gates, raflent un tiers des fonds de la Fondation. Un montant similaire a été versé à la Fondation africaine pour les technologies agricoles (AATF), qui développe des partenariats entre la recherche africaine et des firmes biotechs. Cette dernière reverse une large partie de ses financements à Bayer-Monsanto. La firme est le premier bénéficiaire de l’AATF, qui a passé des contrats avec elle pour 46 millions de dollars entre 2008 et 2020. 60 % des projets abandonnés sur le continent Pour les paysans africains, le bilan de ces recherches est dérisoire. Aucune des variétés sur lesquelles travaillent les centres de recherche africains n’est arrivée au stade de la commercialisation. Et pour les partenariats public-privé de l’AATF, une seule est arrivée sur le marché au Nigeria : le niébé, une plante voisine du haricot, résistant à la pyrale, un insecte ravageur. « Une grande partie de l’investissement dans le développement de cultures génétiquement modifiées pour les agriculteurs africains ont été canalisés dans le cadre de partenariats public-privé, entre des entreprises privées et des instituts de recherche africains, explique Joeva Sean Rock, chercheuse en études du développement à l’université de Cambridge et une des chevilles ouvrières du mBio project. Les projets sont souvent organisés en fonction de ce qu’une entreprise privée peut offrir — et pas nécessairement de ce dont les agriculteurs africains ont besoin ou veulent — et peuvent donc conduire à des priorités mal adaptées. » Un des partenariats public-privé le plus abouti s’est fait au Burkina Faso entre Monsanto et la recherche burkinabé, entre 2008 et 2016, pour amener aux petits paysans du coton Bt résistant à la pyrale. Le projet a finalement été abandonné, en cause notamment la mauvaise qualité de la fibre qui a rendu les récoltes invendables, laissant les paysans endettés en raison du coût des semences de Monsanto et des produits nécessaires à leur culture. Un champ de maïs OGM au Kenya. Wikimedia Commons/CC BY 2.5 Deed/Dave Hoisington/Cimmyt Cet échec est analysé dans plusieurs publications, notamment dans African Affaires en 2016. L’auteur de l’article, Brian Dowd-Uribe, analyse dans un autre article publié fin 2023 un programme de recherche sur le niébé résistant à la pyrale au Burkina Faso. Il montre que cette recherche, financée par la Fondation Gates et l’Usaid, reste guidée par des choix de productivité industrielle avec des technologies coûteuses qui ne sont pas adaptées aux petits paysans. Par exemple, Action contre la faim refuse de s’engager dans des projets avec des semences OGM, car ils endettent les paysans. Interrogée sur le maigre bilan de vingt ans de recherche pour le développement des OGM en Afrique, la Fondation Bill & Melinda Gates n’a pas répondu à Reporterre. Pour les différents défenseurs des biotechs en Afrique, le développement du maïs OGM Tela est l’étendard de résultats à venir. Issu d’un partenariat entre Bayer (d’abord Monsanto), l’AATF et un centre du CGIAR, ce maïs résistant à la pyrale et nécessitant peu d’eau est cultivé sur le continent uniquement en Afrique du Sud mais vient d’être autorisé au Nigeria. Preuve pour d’aucuns que ces biotechnologies peuvent améliorer le sort des paysans africains, comme le rappelle l’AATF sur son site qui affiche sa « vision d’une Afrique prospère et sûre sur le plan alimentaire, où les moyens de subsistance des petits exploitants sont transformés grâce à des technologies agricoles innovantes ». Joeva Sean Rock souligne un autre effet de cette dépendance aux brevets industriels : « Les entreprises privées détiennent les traits génétiques brevetés qui sont à la base de tout projet de culture génétiquement modifiée ; si elles décident de partir, comme Monsanto l’a fait au Ghana en 2016, les chercheurs africains ne peuvent pas poursuivre les projets. » Selon le mBio project, 60 % des projets de recherche publique ont été abandonnés sur le continent. Pour cette raison, mais pas seulement. « La science n’est tout simplement pas aussi avancée » La chercheuse britannique avance une autre explication pour comprendre l’échec des recherches : « La sélection des plantes est délicate, surtout lorsqu’il s’agit de caractères multigéniques, comme c’est le cas pour de nombreux projets de cultures génétiquement modifiées en Afrique. La science n’est tout simplement pas aussi avancée que ne le laisse entendre le battage médiatique. » En effet, si la majorité de la recherche privée se focalise sur la création de variétés non originaires d’Afrique à partir de traits déjà brevetés depuis des décennies, l’aide au développement cible aussi d’autres caractéristiques comme la résistance à la sécheresse ou des variétés biofortifiées. Or, la chercheuse évoque la difficulté de trouver des traits complexes, autres que ceux qui ont fait le succès des OGM. Les OGM existants reposent sur des cas particuliers où un gène est très dominant dans l’expression d’une protéine insecticide et d’une tolérance à un herbicide, expliquait en 2021 à Reporterre Randall Wisser, généticien à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). « Mais ces cas sont rares », précisait le chercheur. Pour des traits comme la résistance à la sécheresse, les recherches patinent. « Sans parler de l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes. Le génome réagit en effet différemment selon les variations du milieu, du climat… » « Comme l’ont montré nos recherches à mBio, la plupart des essais de recherche n’aboutissent pas à un produit commercial, explique la chercheuse Joeva Sean Rock. Ce sont d’ailleurs ces résultats que de nombreux mouvements sociaux mettent en avant lorsqu’ils avancent des arguments contre les cultures génétiquement modifiées. » <a href=“https://reporterre.net/Vaincre-la-faim-grace-aux-OGM-la-fausse-promesse-de-Bill-Gates-en-Afrique”>reporterre</a>