20/05/2024


Le wokisme, un mouvement tellement français

Le wokisme, un mouvement tellement français

Faites confiance aux Français pour intellectualiser à mort le débat sur le wokisme. Environ une fois par mois, une certaine élite de la société française se retrouve au Laboratoire de la République, un cercle de réflexion situé dans le centre de Paris, pour réfléchir aux risques posés par cette importation qu’ils jugent dangereuse et clivante. Les conférences organisées par le Laboratoire ne concernent pas toutes le wokisme mais c’est un thème récurrent. Les intervenants vont de Kamel Daoud, romancier franco-algérien pour qui le wokisme, “en plus d’être dangereux, est d’abord ennuyeux”, l’universitaire et grand spécialiste de l’islam Gilles Kepel, qui dénonce la “cancel culture” dans les universités, et Nathalie Heinich, sociologue qui considère le wokisme comme un “nouveau totalitarisme”. “Nous n’avons pas attendu [la génération woke] pour lutter contre le racisme et le sexisme, explique Nathalie Heinich, interrogée par Politico. Ils croient vraiment avoir inventé ces combats ? À mon sens, il ne faut pas nécessairement interdire les discours qui nous dérangent pour faire avancer la lutte contre les discriminations.” Créé en 2021 par Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale d’Emmanuel Macron, ce cercle de réflexion a pour objectif de défendre “un idéal républicain” qui transcende les questions de race et de religion. L’idéologie woke, a récemment déclaré Blanquer lors d’une interview dans un très chic restaurant parisien, est “pessimiste” parce qu’elle réduit les gens à leurs étiquettes (femme, noir, musulman, homosexuel) sans prendre en compte la spécificité de chaque individu. “Ce fatras idéologique ne fait que diviser encore davantage nos sociétés.” “Un enfermement intellectuel” Aux États-Unis, la bannière antiwoke est surtout brandie par des personnalités de droite comme le gouverneur de Floride, Ron DeSantis. En France, cependant, même si la majeure partie de ceux qui lui sont hostiles vient de l’extrême droite et du populisme – notamment d’Éric Zemmour, à la tête du parti d’extrême droite Reconquête –, on trouve également des opposants au wokisme dans l’ensemble de la classe politique et même au sein de la gauche. Le terme est généralement utilisé de manière péjorative. Ses contempteurs le considèrent comme une importation américaine qui dévoie les valeurs progressistes, en cherchant à étouffer le pluralisme des opinions sur les questions de genre et de race, avec une mise en avant des minorités aux dépens de l’unité française. “Il faut savoir se défendre contre le wokisme”, juge Brice Couturier, animateur régulier des débats mensuels du Laboratoire, qui se décrit comme un homme de gauche opposé à l’“islamo-gauchisme” et l’“idéologie transgenre”. “L’idéal républicain est égalitaire, rappelle-t-il. Il n’est pas compatible avec l’idée que l’identité, même raciale, devrait devenir un marqueur culturel important.” Pour rejoindre le QG de cette armée en guerre contre le wokisme, il faut traverser la Seine dans la direction opposée au Louvre, passer devant le musée d’Orsay et arpenter le 7e arrondissement jusqu’à la Maison de l’Amérique latine, sur le cossu boulevard Saint-Germain. Lors d’une récente soirée de janvier, on pouvait y croiser des professeurs d’université, des intellectuels et des étudiants dans une salle de réception lambrissée en train de boire du vin blanc tiède et de bavarder après la conférence de l’invité du Laboratoire, qui avait répondu à une séance de questions-réponses sur l’immigration et les relations de la France avec ses anciennes colonies. “Dans mon université, tout le monde critique ce qu’ils appellent la domination de l’homme blanc”, raconte Lila Nantara, une étudiante en sociologie de 23 ans venue assister au débat. “Je pense que c’est une bonne cause et que cela part d’une bo https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-l-etranger-le-wokisme-un-mouvement-tellement-francais